Kritik14. Juni 2023 Maxime Maynard
«Casa Susanna» sur Arte, un documentaire essentiel pour retracer l’Histoire queer
Présenté à la Mostra de Venise 2022, puis à la dernière édition du festival du film documentaire Vision du Réel, «Casa Susanna», du réalisateur Sébastien Lifshitz, ouvre les portes d’une communauté de travestis aux États-Unis dans les années 50/60. Décryptage!
Au nord de la ville de New York se trouve les montagnes Catskills. Dans ces magnifiques reliefs se dresse la propriété si particulière de Marie et Tito, transformée durant les années 50 et 60 en véritable refuge pour travestis. Perdus dans la nature, à l’abri des regards et du jugement cruel de la population, des hommes, maris et pères, se retrouvent. Parés de bijoux et élégamment vêtus à la façon des femmes de la classe moyenne américaine, ils profitent en communauté de quelques trop brefs instants de liberté.
Les souvenirs d’un passé queer ont souvent été écartés au profit de l’Histoire clamée et défendue par la majorité. Mais si les sources limitées, ou modifiées pour s’ajuster à une vision plus binaire et hétéronormée, rendent parfois difficile la construction d’une chronique complète de la culture queer, certains documentaires ont réussi à traverser les années pour se faire le fascinant miroir d’une interrogation sur le genre historique. Ainsi, «Paris is burning» (1990), depuis longtemps devenu culte, avait ensuite inspiré la série à succès «Pose» de Ryan Murphy. Et alors que l’extraordinaire «La Reine» (1968) illustrait les coulisses d’un concours national de Drag-queens, le court-métrage «Queens at Heart» (1967) présentait la vie de quatre femmes trans new-yorkaises. Et c’est avec un extrait de ce dernier que s’ouvre «Casa Susanna», le nouveau long-métrage documentaire de Sebastien Lifshitz.
Le réalisateur français a, depuis plusieurs années, mis un point d’honneur a représenté sur les écrans les communautés LGBTQ+. Fiction - «Presque rien» (2000), «Plein Sud» (2009) - ou documentaire - «Les Invisibles» (2012), «Bambi» (2013) -, il varie les formats cinématographiques pour offrir une vision d’ensemble intergénérationnelle de ces minorités. Son précédent documentaire, «Petite Fille», présenté dans la section panorama du Festival du film de Berlin, avait marqué les foules et convaincu notre critique. Avec «Casa Susanna», le cinéaste continue d’illustrer les questions de genres à travers les décennies et s’éloigne de la France pour poser sa caméra aux États-Unis.
C’est en 2004 que plusieurs centaines de clichés illustrant le quotidien de la Casa Susanna sont découverts par des collectionneurs. Édités sous forme de livre l’année suivante, ils servent de support d’étude à l’historienne Isabelle Bonnet que Sébastien Lifshitz rencontre en 2016 durant l’organisation d’une exposition. Intrigué, le cinéaste embarque pour New York, les photographies sous son bras, et capture, face à sa caméra, Gregory Bagarozy, petit-fils de la propriétaire, Diana Merry-Shapiro, habituée des lieux, Betsy Wollheim, fille de l’écrivain de science-fiction et travesti Donald Wollheim ou encore l’activiste trans Katherine Cummings, dont les yeux pétillent de bonheur à chaque évocation de ces souvenirs lointains de liberté.
Si l’enchaînement cyclique d’interviews, entrecoupées de photos d’époque, peut souvent alourdir le rythme de l’œuvre, laissant notre concentration parfois vaquer à d’autres occupations, il est difficile de ne pas se laisser porter par le récit de ces mémoires à quatre voix. L’humour des intervenant.es et la joie qui émanent à l’idée de partager leurs histoires charment et accentuent avec aisance l’intérêt tout particulier du projet. Car à la différence des protagonistes de «Paris is burning» ou «The Queen», qui se clamaient ouvertement du spectre LGBTQ+, les participant.es de l’époque de la Casa Susana rejetaient, pour la plupart, toute comparaison et appartenance à ces minorités ostracisées.
Et si certain.es y ont depuis accepté leur place, la vision d’un rejet intercommunautaire au travers du récit de ces êtres aux vies doubles peut se transformer en plaidoyer d’acceptation : acceptation personnelle et acceptation de l’autre. Il en découle, malgré les difficultés, une joie de vivre apparente. Vision singulière d’un monde caché, extrait de vie d’un microcosme en marge de la société : «Casa Susanna» est un documentaire essentiel dans l’illustration et la compréhension d’une partie du passé queer.
4/5 ★
À découvrir sur Arte le 14 juin, sur sa plateforme Arte.TV jusqu'au 12 octobre 2023, ou sur Youtube en libre accès.
Bande-annonce de «Casa Susanna»
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