Interview15. Juni 2022 Cineman Redaktion
Quentin Dupieux et Léa Drucker sur «Incroyable mais vrai»: «Nous ne nous moquons pas des gens, mais des obsessions»
Nouvelle élucubration cinématographique tirée de l’esprit de celui qui nous avait pondu «Rubber» et autres «Mandibules», à l’occasion de la présentation à la Berlinale 2022 de son dernier film «Incroyable mais vai», nous nous sommes entretenus avec Quentin Dupieux et Léa Drucker. Ambiance décontractée pour une plongée passionnante dans l’esprit d’un cinéaste singulier aux côtés d’une actrice remarquable.
(Propos recueillis en février 2022 par Théo Metais et retranscris par Maxime Maynard)
Cineman : Comme souvent dans votre cinématographie, «Incroyable mais vai» présente un concept simple et pourtant très alambiqué. Comment déterminez-vous les idées qui valent la peine d’être développée pour devenir des films ?
Quentin Dupieux : C'est très simple, quand une idée me vient, je me lance et j’écris. Je développe quelques scènes, pour voir si la magie opère. Ça ne marche pas tout le temps. Parfois, après vingt pages, vous réalisez que l’idée ne tient pas la route. Mais de temps en temps tout s’emboite et le film s’écrit alors tout seul.
Léa Drucker c’est votre première collaboration avec Quentin Dupieux, comment ça s’est passé ?
Léa Drucker : J'étais vraiment heureuse quand Quentin m'a téléphoné pour me dire qu’il avait écrit un rôle juste pour moi. J'aime ses histoires et ses personnages. Je savais que ce serait amusant de travailler avec lui, car ses films sont un terrain de jeu fantastique pour nous. Je pense qu'il a un esprit et une imagination très libres. Son scénario était fort, hilarant, mais aussi très profond.
Je suis contente d’avoir la possibilité de jouer dans autre chose que des films hyperréalistes. Nous n’en avons pas souvent l’opportunité dans le métier. À part Quentin, il n’y a pas beaucoup de réalisateurs comme ça en France. En tant que spectatrice, j’adore ce genre de film, alors j’étais très excitée de travailler, non seulement avec lui, mais aussi avec le reste de la distribution.
Vous faites souvent revenir certains de vos acteurs ou actrices, comme Alain Chabat par exemple. Une sorte de «cinéma la troupe», non ?
QD : Oui, c’est vrai, mais je fais quand même attention. Si je fais revenir Léa, ce ne sera pas avec Alain. Je ne veux pas refaire les mêmes choses. Je sais que certaines personnes font ça, mais j'aime les risques et les nouvelles saveurs. Je suis sûr qu'à l'avenir, Léa sera de retour, mais avec d’autres partenaires à l’écran. J'aime créer de nouveaux groupes. C'est très stimulant. Alain et Léa se connaissaient avant, mais n’avaient jamais travaillé ensemble.
Laissez-vous de la place pour l’improvisation ou préférez-vous tout écrire et préparer à l’avance ?
QD : Les dialogues sont écrits, mais la distribution a ensuite toute la liberté de faire vivre les personnages à sa façon. Je peux aider en disant «Ok, ça ne marche pas, essayons autre chose», mais c'est tout. Si les dialogues sont la base, il reste encore tout à créer.
Avez-vous déjà envisagé de travailler sur un scénario écrit par quelqu’un d’autre ?
QD : Je ne pense pas en être capable. Quand je reçois un scénario de quelqu’un d’autre, il m'est difficile de comprendre ce dont il s’agit. J'ai été attaché à un projet aux États-Unis. Le scénariste était sympa, j’ai donc essayé de me plonger dans son histoire. C'était un cauchemar pour moi, d’abord parce que c’était en anglais, mais surtout parce qu'il s’agissait de sa propre vision, celle de quelqu’un d’autre que moi. J’avais des difficultés à comprendre l’intrigue.
Votre champ d'action a-t-il changé entre votre période aux États-Unis et votre retour en France ? Sentez-vous une évolution dans vos histoires ?
QD : C'est bizarre, je n'ai même pas l'impression d'avoir tourné aux États-Unis. Je travaillais avec des acteurs américains, mais j'avais le même état d'esprit français et la production était française. La langue était, quand même, parfois problématique. Je ne parle pas couramment anglais, donc revenir en France a facilité les choses. Je me sens mieux en écrivant des dialogues en français.
Dans «Incroyable mais vrai», les mots ne sont parfois plus nécessaires. Comment trouvez-vous l’équilibre entre les dialogues et une façon plus visuelle de développer l’histoire ?
QD : Pour ce film en particulier, j'étais heureux de constater que les personnages était bien construits et qu'il était ainsi possible de créer quinze minutes de film sans aucuns dialogues. J'en suis très fier. D’habitude, j'ai tendance à en écrire beaucoup, à construire mon scénario autour d’eux, c'est donc quelque chose de tout nouveau pour moi. Je suis heureux d’avoir réussi à raconter une histoire sans aucun mot, juste grâce à la musique et aux images.
« Je n’écris rien que je ne pourrais pas me permettre de réaliser... »
Léa, dans le film, votre personnage utilise plusieurs fois cette trappe temporelle magique. Quand vous descendiez dans le tunnel, vous imaginiez-vous vieillir ou rajeunir ? Cela a-t-il changé votre manière de jouer ?
LD : Oui, et je me racontais aussi une petite histoire différente à chaque fois. Le film parle d'une obsession, c'est quelque chose que je peux vraiment comprendre. L’idée de vouloir revenir en arrière semble très présent dans notre société. Dans le film, le point de vue de chaque personnage reste compréhensible.
Ce qui leur arrive s'avère cruelle, mais reste traité avec beaucoup d’humour. L'humour se révèle essentiel pour avancer, pour réussir à accepter de vieillir avec plus de facilité. Nous ne nous moquons pas des gens, mais des obsessions. Si certaines obsessions peuvent être vraiment dangereuses, personne n’est à l’abri de les développer.
QD : Nous avions une idée précise. On discutait avant en disant : «Cet événement vient d’arriver, donc pour cette descente, ton état d’esprit devrait être plutôt celui-ci» . Si à la fin les différences sont minimes, elles se ressentent quand même à l’écran.
Le film baigne dans des tons très pastel, assez fidèle à vos précédents films, comment choisissez-vous ces palettes de couleurs ?
QD : La raison est simple : je n'aime pas les couleurs numériques. Je n'aime pas leur aspect. Donc, je filme en numérique, mais je diminue l’intensité des couleurs ensuite. Pour chaque film, j’ai besoin de quelque chose de nouveau, d’une nouvelle excitation dans la création. Je ne reproduis jamais quelque chose que j’ai déjà fait avant. J'ai donc besoin d'une nouvelle configuration de caméra, d’un nouvel objectif.
Je vais dans un magasin de caméras à Paris. Ils me connaissent, j’en essaie plusieurs. J'ai eu un coup de cœur pour l’objectif utilisé dans ce film, mais c’était un choix technique terrible. Il nécessite beaucoup de lumière et il est difficile par la suite de transformer l’image. Certains plans étaient presque inutilisables. Je suis très heureux de l'apparence du film, mais il y a un risque élevé. Je ne le referai pas. C'est trop technique.
Quand vous développez une idée, avez-vous une conscience pratique du budget et de la façon dont vous allez la réaliser ?
QD : Oui, c’est quasiment automatique, mon cerveau le fait tout seul. Je n’écris rien que je ne pourrais pas me permettre de réaliser. J’aime les films simples, tournés en 7 ou 8 semaines. C'est comme ça que je suis heureux, c'est comme ça que je trouve de la magie dans la création.
«Incroyable mais vrai» semble évoluer dans une certaine réalité, un peu à la façon de votre film «Le Daim» (2019). Ils se présentent tous les deux presque comme des contes. Les personnages font des erreurs et s’en retrouvent punis. Nous sommes loin de l’absurdité de «Rubber» (2010), par exemple. Était-ce un choix prédéfini ?
QD : Quand j'ai fait «Le Daim», le script était d’abord en anglais. Le film devait rejoindre l’absurdité de «Rubber», n’être qu’une simple blague. À mon retour en France, je me suis dit : «Pourquoi ne pas essayer de le faire ici ?» Quand j'ai traduit le script en français, j'ai réalisé que l’idée serait encore plus surprenante si l’histoire se rapprochait de la réalité.
Pour « Incroyable mais vrai », je ne sais pas vraiment si j’ai décidé d’être plus réaliste à un moment donné. Peut-être que c’est simplement à cause du sujet. Pour ce film, les personnages doivent être plus creusés, plus solides. Crée un scénario absurde pour le plaisir de la blague est plus difficile.
Le film développe une thématique liée l'angoisse de vieillir, à la peur du temps qui passe. Est-ce un sujet qui vous touche ?
QD : Même si l’idée de vieillir ne me dérange pas, je pense que cette thématique doit bien sortir de quelque part. Mais je n’essaie pas de comprendre les raisons qui me poussent à écrire sur un sujet. Pour ce film, l’angoisse de vieillir n’est qu’un simple thème. J'aurais pu très bien réaliser le même film avec une problématique différente.
Au-delà de l’originalité apparente du scénario, souhaitiez-vous aussi dire quelque chose sur le monde?
QD : C'est impossible de vraiment savoir d’où viennent mes idées, mais à moins d'être un mauvais cinéaste, quand on crée quelque chose, une histoire avec des êtres humains qui communiquent, qui échangent, on dit quelque chose sur le monde. Même sans le vouloir, nous ne faisons que le refléter d'une certaine manière. Si vous écrivez quelque chose, votre création sera automatiquement un reflet du monde.
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