Interview13. März 2024 Theo Metais
Carmen Jaquier et Jan Gassmann pour «Les Paradis de Diane», «la maternité m’a toujours été transmise comme une chose de nécessaire, d’inné»
Clin d’œil à Chantal Akerman et à ses figures féminines, dans «Les Paradis de Diane», Carmen Jaquier et Jan Gassmann dévoilent une histoire d’émancipation singulière autour de la maternité. Rencontre.
(Propos recueillis et mis en forme par Théo Metais.)
En février dernier, à l’occasion d’un quart d'heure de gloire à la Wharol, Carmen Jaquier et Jan Gassmann nous avaient accordés une brève entrevue alors que la 74e Berlinale battait son plein. Absorbés, enchantés et persuadés d’avoir découverts une œuvre singulière, nous étions arrivés des questions plein la tête. Le temps de dégrafer une bouteille d’eau et d’engloutir un café, en ce samedi matin au saut du lit - et les yeux pourtant alourdis par la quantité de films visionnés - il nous tardait de démêler les mystères autour des «Paradis de Diane».
Point de rencontre de leur cinématographie, la genevoise Carmen Jaquier («Foudre») et le zurichois Jan Gassmann («99 Moons») explorent ici les pérégrinations d’une femme qui, juste après avoir donné naissance à son premier enfant, prend la fuite et trouve refuge à Benidorm en Espagne. «Ça vient d'une rencontre avec une amie qui m'a avoué avoir fait une dépression après la naissance de sa fille.» raconte Carmen Jaquier. «Avec son témoignage, je réalisais que la maternité était quelque chose de très obscur et de complexe». «Elle nous a aussi expliqué qu’elle n’était entourée que de femmes» poursuit Jan Gassmann «et de fait, elle n’en avait parlé avec personne».
Aujourd’hui, la parole se libère, or le sujet prend racine il y a bien longtemps. En effet, des écrits de médecins de la Grèce antique relatent déjà les symptômes de ce qu’il convient d’appeler la dépression post-partum. S’agirait-il alors d’une étude contemporaine à charge ? La cinéaste nous répond. «On n'a pas voulu traiter directement de la dépression ou du baby blues. Mais ça a été le moment où je me suis dit, tiens, il y a quelque chose auquel on peut réfléchir.» Et d’ajouter «La maternité m'a toujours été transmise comme une chose de nécessaire, d'inné. D’ailleurs, l'instinct maternel est perçu comme une évidence et quelque chose d’extrêmement positif. Et on ne m'a jamais communiqué les aspects plus sombres.»
C’est précisément au cœur de cette nuance que la justesse du personnage de Diane se révèle. Selon les mots de Carmen Jaquier, elle reprendrait même le flambeau d’un pan parfois oublié de l’histoire du cinéma, qui donnait justement la parole à ces figures féminines désintéressées par la maternité. Une démarche que l’on retrouve notamment dans le chef-d'œuvre «Vanda» (1970) de la cinéaste américaine Barbara Loden. Un déclic pour la cinéaste et une référence revendiquée :
«Dans «Vanda», on découvre cette femme qui se retrouve au tribunal alors que son ex-mari l'accuse de ne pas s'occuper de ses enfants. Elle dit, mais donnez-lui les enfants. Elle n'a pas d'intérêt pour eux. Et soudain, je me suis dit, mais il y a plein de personnages, de femmes qui, déjà, proposent ces thématiques. Simplement, elles ne sont pas vraiment débattues dans l'espace public. Il y a quand même pas mal de personnes qui ont écrit, mais ce sont des personnes très isolées, des femmes isolées. Je pense que remettre en question le mythe de la mère, ce n'était pas bon. Ni les hommes ni les femmes n’avaient envie de remettre en question cette mythologie-là.»
Pour l’interpréter, on découvre Dorothée de Koon, compositrice et musicienne, qui se retrouve, au diapason de son personnage, en terre inconnue, naviguant dans un premier grand rôle au cinéma. «On a rencontré pas mal d'actrices entre la Suisse, la France. Finalement, c'est la coproductrice française qui nous a appelés un jour en disant, j'ai rencontré quelqu’un hier soir à une fête» se souviennent encore amusés les deux cinéastes. «Elle nous dit qu’elle a une drôle de manière de s'exprimer. Elle parle très librement de sa vie, et sa relation à sa maternité est pleine de questions. (...) Pour Jan, c'était clair très rapidement qu’il y avait quelque chose avec Dorothée. Moi, c'est vraiment en la filmant que j'ai compris à quel point elle était magnétique.»
«Elle est vraiment une actrice» poursuit Jan Gassman «Dès qu’on a commencé à travailler, non seulement elle comprenait, mais elle réagissait hyper fort à ce qu'on essayait de construire. C’est quelqu’un qui cherche, et qui cherche avec toi. J'espère qu'elle va continuer son travail d'actrice.»
Pour l’accompagner dans ce périple, Dorothée de Koon croise le chemin de l’immense actrice Aurore Clément. De son amitié avec Jacques Prévert, Boris Vian, en passant par ses illustres collaborations avec Louis Malle et Chantal Akerman, elle prête aujourd'hui son aura légendaire à Rose, une femme crépusculaire auprès de laquelle Diane trouvera du réconfort. «C'était important de l'accompagner de gens qui n'allaient pas la juger.» confie Carmen Jaquier, «Le personnage de Rose lui dit d’ailleurs : «ce qui est fait est fait!». Elle ne l'épargne pas, elle la confronte, mais elle ne la juge pas. À l’écriture, on avait aussi eu l’idée de travailler comme si elles étaient la même femme, à deux âges différents.».
«Diane, c’est un peu le genre de rôle qu’Aurore Clément aurait joué dans les années 70/80» nous explique aussi Jan Gassman. L’actrice avait d’ailleurs publié fin 2022 un recueil de photographies (prises par Peter Wyss dans les années 70) intitulé «Une femme sans fin s’enfuit» laissant miroiter l’idée d’une filiation bien plus profonde entre les deux parcours. «Un des films qui est et qui a toujours été important, c’est «Les Rendez-vous d'Anna», de Chantal Akerman, dans lequel elle joue. Son personnage est extrêmement subversif pour l'époque, car il propose une femme indépendante, qui aime les hommes, qui aime les femmes, et qui voyage à travers l'Europe pour faire la promotion de son film. Elle nous a raconté comment c’était de présenter ce film à un public qui huait. Elle est vraiment une figure et on avait envie qu'elle vienne, et qu'elle nous apporte un petit peu de cette histoire du cinéma.»
Pour conclure cet entretien, nous les avions interrogés sur la double narration du corps qui paraphe ce film. D’un côté, le public découvre un corps maternel en proie aux transformations qui lui sont propres et de l’autre, un corps en proie au désir. Deux notions qui s’observent et se répondent l’une l’autre, presque dans une forme de reprise de contrôle.
«La narration du corps, elle a presque été écrite indépendamment de toute la psychologie.» développe Carmen Jaquier. «Avec toute la période post-partum, il a fallu qu'on traite le corps qui se retrouve seul, et qui continue de produire des douleurs, des liquides. Et en même temps, on voulait aussi rappeler que le corps traversé par un enfant, c'est l'endroit aussi par lequel une certaine sexualité peut avoir lieu. Le corps maternel et le corps sexuel forment un tout et on ne peut pas les dissocier. On ne peut pas dire qu’une mère descend de la Vierge Marie qui n'a pas eu d'actes sexuels pour enfanter. On souhaitait vraiment travailler cette friction. D'où l’ouverture du film avec une scène d'amour, sexuelle, entre Diane et son partenaire qui passe immédiatement à l'accouchement pour rappeler justement que ça fait partie de son corps.»
«Les Paradis de Diane» est à découvrir au cinéma à partir du 14 mars en suisse alémanique et du 20 mars en suisse romande.
Bande-annonce de «Les Paradis de Diane»
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