Interview10. November 2023 Maxime Maynard
Marie Amachoukeli sur «Àma Gloria» : «Faire des films, c'est défendre un point de vue»
Lors de la présentation de son très émouvant film «Àma Gloria» au dernier festival de Zurich, nous nous sommes entretenus avec Marie Amachoukeli. Rencontre avec une cinéaste aussi solaire que ses films.
(Propos recueillis et mis en forme par Maxime Maynard)
Neuf ans après la sortie de «Party Girl» - Caméra d'or et prix d'ensemble dans la section Un Autre Regard au Festival de Cannes 2014 -, la scénariste Marie Amachoukeli retourne à la réalisation et offre avec «Àma Gloria» le récit poignant de deux êtres unis par un amour quasi maternel. Autour d’un espresso, au cœur des festivités zurichoises, elle nous a accordé un peu de son temps et s’est ouverte sur un projet de cœur.
Cineman : Tu as déjà présenté tes projets au Festival de Clermont-Ferrand et au Festival de Cannes, où tu as été récompensée. Ça fait quoi cette reconnaissance ?
Marie Amachoukeli: La question des prix est toujours ambiguë. Tu ne peux pas te plaindre et même, tu remercies le ciel d'être remarqué. Quand on fait des films avec des comédiens non professionnels et non connus, les budgets ne sont quand même pas vraiment confortables. Ce sont des projets difficiles à financer. Je suis très redevable de ces gens du jury qui nous ont donné des prix, ils nous donnent l'opportunité de refaire des films.
Ton dernier long-métrage, «Party Girl» est sorti en 2014, pourquoi avoir attendu neuf ans pour repasser derrière la caméra ?
MA : Je suis scénariste, c'est mon métier. Réaliser, c'est, peut-être, une fois tous les dix ans, quand j'ai vraiment quelque chose à dire et que je veux le dire à ma façon. Je ne sais pas en faire un métier. C'est tellement compliqué de faire un film. Tu risques beaucoup. Toute ton énergie va dans le film, les comédiens et l'équipe. Ce n'est pas humain. Quand je vois des réalisateurs comme François Ozon, je ne sais pas comment ils font. Pour eux, c’est toute leur vie.
«Àma Gloria» était donc un projet très personnel ?
Initialement, l’histoire est inspirée de la relation avec ma propre nounou, qui était portugaise. Elle est repartie au Portugal, mais on s’appelle tout le temps. La trame émotionnelle du film est celle de mon expérience personnelle. Après, tout est adapté, fonctionnalisé. À l’époque, l'immigration portugaise faisait souvent ce genre de travail. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Il fallait adapter le récit au contexte actuel. J'ai rencontré des femmes philippines, mexicaines, péruviennes, marocaines. Et puis j'ai rencontré Ilça Moreno Zego, qui est réellement nounou. Elle-même a quitté le Cap-Vert et a laissé ses enfants à sa mère. Elle m'a raconté sa vie et j'ai réécrit tout le film en fonction.
Comment s’est développée la relation entre les deux actrices principales, Ilça Moreno Zego et la petite Louise Mauroy-Panzani ?
C'est toujours une alchimie qu’on ne peut pas prévoir. En tant que réalisateur, il faut être alerte et à l’écoute de ce qui se passe. Louise Mauroy-Panzani et Ilça Moreno Zego se sont vues deux fois en casting pour être sûres que ça marche, mais il n’y a pas eu de répétition avant le tournage, ce qui était assez risqué. Ilça aussi était non professionnelle. C’était très beau de les voir devenir comédiennes ensemble. Elles vivaient une expérience commune et intense et se donnaient des conseils. Leur relation est devenue très fusionnelle. D'ailleurs, la dernière scène, à l'aéroport, a été tournée le dernier jour du tournage. À 20 h, l'équipe reprenait l'avion, on repartait en France. Les pleurs, ce sont vraiment les deux actrices qui se disaient au revoir. C'est dire, on a vécu une super amitié.
La jeune Louise Mauroy-Panzani est formidable. Comment l’as-tu trouvée ?
Quand j’ai dit à Christel Baras, ma directrice de casting, que je cherchais un enfant de cinq ans, elle m’a dit qu’elle allait regarder dans les fichiers de jeunes acteurs et actrices. Je ne voulais justement pas d’un enfant qui soit trop formaté professionnellement. Je voulais rencontrer un vrai enfant. C’était plus de travail pour elle, mais elle a accepté. Elle a traversé la rue jusque dans le jardin d'en face, et là, il y avait Louise qui, comme toutes les grandes sœurs, était en train de crier sur son petit frère. C’est la première enfant que Christel a trouvée et elle était déjà dans son rôle. J’ai rencontré Louise comme ça.
Comment as-tu convaincu ses parents ?
Là où j’ai trouvé les parents très bien, c’est qu’ils ne voulaient absolument pas que leur enfant devienne star. Ils étaient très méfiants, ce qui est plutôt bon signe. Ils se sont beaucoup renseignés sur moi et sur ma productrice, qui est Bénédicte Couvreur. Elle avait déjà produit «Tomboy» de Céline Sciamma, donc elle est habituée à tourner avec les enfants. La mère a accepté que l'on fasse les castings et, comme elle est avocate, le droit du travail et la DDASS, elle connait. Mais l’important pour elle et le père, c’était que Louise s’amuse et qu’elle ait envie de revenir sur le plateau le lendemain. C'était un peu ça l'enjeu.
Y avait-il une certaine flexibilité dans le scénario ?
La flexibilité, l’improvisation, c’est mon rêve. Mais quand tu travailles avec des enfants, tu ne peux tourner que 4 heures par jour, ce qui est très peu. Je ne pouvais pas me permettre d'improviser. Il fallait que chaque plan soit utile. Tout est écrit à l’avance et Louise récite son texte. Le but était que ce soit quelque chose de naturel, comme pris sur le vif. Et c’est l’avantage des enfants, ils ont une grande faculté d’empathie. Louise Mauroy-Panzani arrive à réveiller de véritables sentiments. Comme elle est à l'écoute et en empathie, quand le personnage de Gloria lui dit qu’elle a perdu sa maman, elle était vraiment triste.
Tu entrecoupes ton film de petits passages d’animations. Comment s’est développé cette idée ?
Je travaille avec beaucoup de graphistes. Je partage même mes bureaux avec des illustrateurs. J’ai eu cette idée de dessins très tôt parce que j'avais besoin d'accéder à l'intériorité de la petite et de faire comprendre au public ce qu'elle ressentait, ou ce dont elle se souvenait, mais qu'elle n'arrivait pas à formuler. C’est tellement long de fabriquer un film d’animation. J’ai demandé à mes amis avant le début du tournage et ils ont été très courageux.
Pourrais-tu réaliser un film dont tu n’aurais pas écrit le scénario ?
J'en rêve ! Pour l'instant, ça ne s'est pas fait, mais je cherche. J’ai besoin que ça touche un truc intime que je sais défendre. Faire des films, c'est quand même défendre un point de vue. Si je ne trouve pas de sens, je ne pourrai pas savoir pas comment le défendre. Réaliser un film, ce n’est pas quelque chose que je saurai faire cyniquement.
«Àma Gloria» est à découvrir le 15 novembre 2023 au cinéma.
Bande-annonce d'«Àma Gloria»
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