Interview26. Juni 2023 Maxime Maynard
Ira Sachs, queer et cinéaste : «le capitalisme influence les images que nous produisons»
Alors que le mois des fiertés LGBTQ+ touche bientôt à sa fin, retour sur la relation entre le cinéma et le monde queer en compagnie de Ira Sachs, Ben Whishaw et Franz Rogowski.
Chaque année en février, le festival du film de Berlin, événement majeur du paysage cinématographique mondial, organise, en parallèle de la compétition officielle, ses projections entre plusieurs catégories. Depuis 1986, la catégorie Panorama est «explicitement queer, explicitement féministe, explicitement politique – et cherche en même temps à penser au-delà de ces catégories.» (source : site officiel de la Berlinale)
Il n'est donc nullement surprenant que «Passages», le dernier long-métrage de l'Américain Ira Sachs, ait été choisi pour y être présenté. Car depuis sa première réalisation en 1997 avec «Delta», le cinéaste n’a cessé de démontrer une volonté de représentation queer et de se faire la voix d’une communauté dont il fait lui-même partie. Et c’est en compagnie de son partenaire et de ses enfants qu’il avait fait le déplacement jusqu’à la capitale allemande pour l’événement. Au dernier étage du très chic et célèbre hôtel Adlon à Berlin, nous l’avions rencontré, accompagné des acteurs Ben Whishaw et Franz Rogowski.
«Je suis très heureux de pouvoir être ici avec mes enfants», partageait le réalisateur, «Ils ont quatre parents». Car son compagnon et lui, accompagnés d’un couple lesbien, sont les figures parentales d’une cellule familiale d’un nouveau genre. «Nous avons créé une famille de deux couples qui vivent l'un à côté de l'autre et élèvent deux enfants. Il y a beaucoup de générosité et d'empathie». Une tribu atypique, en réponse à une certaine complexité pour les couples queer de fonder une famille.
«Avoir un bébé en tant que couple gay est une chose importante», déclarait l’acteur allemand Franz Rogowski, «Il faut trouver une solution créative». Ce sont ces difficultés d’un style de vie involontairement alternatif qu’Ira Sachs présente à l’écran. Bien avant l’engouement cinématographiques contemporaines pour les passions queer, ces dernières remplissaient déjà les pages de ses scénarios. Et pour affuter sa plume et décrire le présent, il tourne son regard vers le passé :
«Je dois revenir en arrière pour me rappeler que j'ai la permission de montrer les images que je veux montrer. Je reviens au cinéma des années 70 et parfois des années 80 et je me rends compte que le corps n'est pas interdit. J'ai l'impression qu'il existe une répression liée au capitalisme. La commercialisation des choses au niveau mondial, qui influence également les images que nous produisons. Il y avait un cinéma plus riche, plus indépendant dans le passé. Il y avait plus d'individualité.»
Une représentation du corps et de la sexualité queer qui prennent place au premier plan dans son œuvre. «Je pense qu'il y a aussi quelque chose dans la volonté d'Ira de reconnaître que le sexe est une partie vraiment importante des relations et de la vie, sans que cela devienne quelque chose d'embarrassant ou de honteux», affirmait l’acteur britannique Ben Whishaw «J’aime le fait qu'il ait une perspective queer innée, qui imprègne tout ce qu'il fait et la façon dont il voit les choses. Chaque image et chaque moment du film l'expriment.»
Il continuait : «Ce n'est pas comme si Ira représentait toutes les personnes queer, mais c'est la spécificité humaine d'Ira et son caractère queer. C'est encore inhabituel d'avoir cela. J'ai l'impression que d'autres personnes similaires sont peut-être devenues plus reconnues ou ont réalisé des films queer qui conviennent mieux au grand public ou à un public hétérosexuel.»
Franz Rogowski ajoutait : «Il y a des films qui utilisent l’expérience queer, qui parlent de choses qui peuvent se vendre sur le marché. Je veux dire que tous les festivals ont aujourd'hui besoin de certains produits pour s'assurer que tout le monde sait qu'ils sont sur la bonne longueur d'onde. Je pense que l'ensemble du travail d'Ira crée vraiment des espaces entre les personnages et les acteurs. C'est quelque chose qui me donne beaucoup d'espoir en termes de représentation queer et vis-à-vis d'une culture qui peut s'élever.»
Mais si être queer laisse penser une certaine ouverture d’esprit, les différences de privilège au sein de la communauté sont source de discrimination. «Le privilège de l’homme gay est souvent économique», déclarait Ira Sachs; «Il peut aussi être racial ou de genre. Fassbender n'a jamais utilisé aucun de ces termes. Pourtant, il se penche constamment sur cette question, sur ce que les hommes font aux femmes. Comment valorisent-ils une femme et son corps ? Comment l'apprécient-ils en tant que personne ? Je pense qu'il y a une exclusion et un manque d'attention. Une attente bourgeoise de pouvoir et de domination qui exclut la femme. C'est assez violent.»
Des privilèges que le cinéma pourrait pourtant utiliser à bon escient pour avancer, non seulement en tant que communauté, mais aussi en tant que société.
Bande-annonce de Passages» d'Ira Sachs
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