Interview6. April 2018 Theo Metais
Lionel Baier sur “Prénom: Mathieu”, le cinéma d’horreur et La Revanche de Freddy - «Ondes de choc»
Prochainement diffusé sur RTS Un (25 avril) et présenté dans la section Panorama lors du dernier festival de Berlin, «Prénom: Mathieu» (Lionel Baier) est tiré de la collection «Ondes de choc», quatre téléfilms inspirés de faits divers survenus en Suisse. Aux commandes du projet, les quatre réalisateurs de la maison “Bande à part Films” (Ursula Meier, Jean-Stéphane Bron, Frédéric Mermoud & Lionel Baier). Le réalisateur lausannois revient sur cette collection, «Prénom: Mathieu», les origines du film, le cinéma d’horreur et ... La Revanche de Freddy!
Cineman - Lionel Baier, «Ondes de choc» c’est une collection de quatre téléfilms, comment êtes-vous arrivé à cette histoire?
LB - C’est une collection, donc chaque réalisateur choisit l’histoire qui lui plaît. Me concernant, ça a été un fait divers extrêmement important dans les années 80 et j’avais pensé à en faire un film il y a déjà 12 ans. J’avais rencontré le tueur et certaines victimes. Ce qui m’intéressait à l’époque c’était de revenir sur l’enfance du serial killer mais je ne trouvais pas le bon angle. Néanmoins, j’ai gardé l’idée en tête. Et quand l’idée d’une collection pour la télé a été évoquée, j’ai tout repris et je me suis lancé cette fois avec l’objectif de prendre le point de vue de la victime. D’une certaine manière, je trouvais ça à la fois plus facile et en même temps plus intéressant. J’y voyais plus d’empathie. Et puis les années 80 ce n’est pas la police scientifique d’aujourd’hui. Les années 80 sont moins contraignantes à filmer et ça m’intéressait d’autant plus que le policier n’est pas un expert scientifique. C'est un homme qui observe et qui sent les choses, c’est passionnant à filmer.
Cineman - Avez-vous repris contact avec eux pour ce film?
LB - Non. Je n’ai pas essayé de les retrouver. J’ai simplement repris mes notes de l’époque. Je voulais rester indépendant de la réalité. Vous savez, il y a un peu plus de 15 ans, Cédric Kahn avait réalisé un film sur Roberto Succo, ce tueur italien. Un film magnifique par ailleurs. Un jour, j’ai lu dans le journal le témoignage de la femme d’un flic tué par Succo. Elle expliquait à quel point cela lui était atroce de voir le nom de l’assassin de son mari sur des affiches de film dans le métro à Paris. Comme s’il était devenu un héros. J'imagine complètement la pénibilité pour quelqu'un qui est passé par là de replonger avec un film dans son histoire. Alors j’ai décidé de ne pas prendre trop d’informations sur la dernière victime. D’ailleurs, je ne l’ai jamais rencontrée. Pour être très honnête, je sais simplement qu’il est en prison aujourd’hui. Il a été condamné pour pédophilie 20 ans après les faits racontés dans le film. Je voulais me sentir libre de créer une famille totalement fictive et éviter ainsi que quiconque ne puisse reconnaître son histoire.
Cineman - Ça en deviendrait presque une fiction?
LB - Même les endroits sont fictifs, Néanmoins, il y a une part de vérité sur comment il a été torturé, les évènements qui se sont passés la nuit du drame et le fait que la dernière victime ait aidé la police à établir le portrait robot du tueur. Ça c’est vrai. Mais tout le reste est fictif. Et même les photos des victimes que je montre dans le film. Il y en a une c’est moi, et une autre, c’est l’un des réalisateur (rires).
Cineman - Et lorsque vous racontez ce fait divers, quel a été votre plus grand challenge narratif ?
LB - Ce qui est intéressant quand on produit un film pour la télévision, c’est qu’il faut être le plus clair possible et ce, dès le début. Autrement les gens zappent, c’est le jeu. Si je prends le titre par exemple. On considère qu’un titre doit être disons expliqué dans les 5 premières minutes. „Prénom Mathieu“, dès les 2 premières minutes, le nom est cité, quelqu’un le prononce et on sait très vite de quoi on parle Après cela, il faut trouver autre chose et des solutions pour filmer cette histoire avec l’angle le plus intéressant possible. Je me suis surtout focalisé sur la victime, ce dont elle se souvient, ce qu’elle peut expliquer et ce qu’elle pense. Il y a de nombreuses scènes d’ailleurs dans le film, on le voit essayer de se souvenir mais il ne peut s’exprimer. C’est au-delà des mots et personne ne le comprend, pas même ses parents. Comment le pourraient-ils? Ils n’ont pas vécu ce qu’il a subi. C’est d’ailleurs la dernière phrase du film: “C’est quoi mon problème?”. Il n’y a pas de réponse, c’est tellement plus complexe. Toute sa vie durant, il essaiera de s’expliquer cette chose absolument horrible qu’est le viol. Et le sentiment de culpabilité, l’impression de vivre dans le corps de quelqu’un d’autre et d’être étranger à sa propre existence est je crois encore plus violent que le viol en lui-même. Le crime en soi ne m'intéressait pas tant que ça à filmer. Je ne savais pas non plus comment filmer une scène de viol, par manque de courage peut-être, toujours est-il que je ne savais pas comment m’y prendre. J’ai donc préféré disperser des souvenirs, avec ces images qui lui viennent comme ça en pop-up.
Cineman - Ce qui, je trouve, est une manière assez élégante de raconter cet épisode
LB - J’espère en tout cas. Et puis c’était aussi produit pour la télévision en prime-time donc il était compliqué de filmer ça de manière très frontale.
Cineman - Quelle a été la direction de la collection «Ondes de choc»?
LB. Il y a quelque chose d’assez curieux. C’est effectivement quatre films de quatre réalisateurs différents. Nous en avions évidemment parlé ensemble mais jamais nous nous sommes imposés de suivre la même direction. Et il s’avère que dans les films le personnage principal est toujours un jeune adolescent entre 15 et 17 ans. Mais ce n’est pas une chose que nous avions décidé ensemble. Peut-être que cela raconte quelque chose sur la Suisse ou notre inconscient collectif. La première idée était d’orienter les histoires sur les effets provoqués, l’après. Mais il y a un film sur cette secte célèbre appelée “Le Temple Solaire”. Le film parle de ce qui se passe avant les suicides collectifs.
Cineman - Est-ce que l’on peut s’attendre à une suite?
LB. Je ne sais pas bien. On réfléchit peut-être à parler de la sexualité en Suisse. Néanmoins on essaie de convaincre quelques amis en Suisse alémanique de faire quelque chose dans le genre. Mais il ne sont pas convaincus de trouver six réalisateurs heureux de travailler ensemble (rires). Non mais peut-être quelque chose du côté de la partie italienne. Disons que ça complèterait bien une collection autour des faits divers en Suisse.
Cineman - Et enfin vos influences de réalisateur, quelles sont-elles? Je reviens sur les flash-back dans votre film, il y a une ambiance très film noir qui rappelle les couleurs de Blood Simple des frères Coen. Je fais fausse route?
LB. Alors, peut-être pas les frères Coen mais néanmoins, j’ai été extrêmement marqué par des réalisateurs comme John Carpenter, ou Tobe Hooper. On voit d’ailleurs un peu de „Massacre à la tronçonneuse“ dans le film. Pour être très franc, ma principale inspiration pour le film c’était „La Revanche de Freddy“ (A Nightmare On Elm Street Part 2).
Cineman - Dites-moi tout...
LB. C’est un film sur la sexualité. J’ai vraiment adoré, peut-être pas les sept, mais en tout cas les deux premiers sont très intéressants. Il y a aussi quelque chose sur l’adolescence. En règle générale, le cinéma d’horreur est un bon moyen pour montrer une certaine réalité de l’adolescence, il la montre comme elle est. Les ados ne sont pas magnifiés, ils n'essaient pas de devenir quelqu’un d’autre. C’est souvent cru et les émotions, les peurs et les histoires d’amour sont sincères. Tout ça est pris très au sérieux. Dans A Nightmare On Elm Street Part 2, il y a quelque chose sur la sexualité et puis j’aime bien l’idée de ces personnes qui s’endorment dans des endroits improbables comme à l’école ou dans le bus. Grâce à ces films, je me suis autorisé une dimension onirique, j’ai utilisé le rêve pour monter des choses plus délicates. Et puis il y a aussi les films de Dario Argento, fabuleusement esthétiques et très cinématographiques.
(Interview réalisée par Théo Metais à Berlin le 20 Février 2018)
En deux mots
Dans les années 1980, Mathieu, 17 ans, est le seul rescapé d’un tueur en série qui défraye la chronique. Blessé, traumatisé, il essaie de reprendre pied dans la vie de sa famille et de son village. Grâce à une incroyable mémoire photographique, et l’aide d’un policier, l’adolescent va réussir à réaliser le portrait robot de l’agresseur, ce qui mènera à son arrestation.
Extrait
Diffusion : le 25 avril à 20h10 sur RTS Un
Avec Maxime Gorbatchevsky, Michel Vuillermoz, Ursina Lardi, Pierre-Isaïe Duc, Mickael Ammann, Adrien Barazzone, Nastassja Tanner
Durée : 61 minutes
Scénario : Julien Bouissoux et Lionel Baier
Image : Patrick Lindenmaier
Montage : Pauline Gaillard
Son : Marc Von Stürler, Etienne Curchod
Musique : Christian Garcia
Décors : Anne-Carmen Vuilleumier
Costumes : Samantha François
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