Artikel17. August 2023 Cineman Redaktion
Locarno 2023, les 9 coups de cœur de nos journalistes
Venus de Corée, d’Iran ou du Portugal, alors que les festivités tessinoises viennent de couronner le film «Critical Zone», nos journalistes vous ont concocté une sélection des (autres) perles qu'il ne fallait pas manquer cette année à Locarno.
La sélection de Laurine Chiarini :
«Si le soleil ne revenait pas»
La montagne rend-elle fou ? D’après Ramuz, écrivain suisse adapté ici par Claude Goretta, c’est clairement le cas. Nouvellement restauré et présenté dans la section Histoire(s) du cinéma: Cinéma suisse redécouvert, ce film de 1987 dépeint la vie d’un petit village perdu au fond d’une vallée. Durant les longs mois gris d’hiver, Anzevui, vieil homme à la fois craint et respecté, prophétise que le soleil ne reviendra pas. Parmi les villageois terrorisés qui semblent peu à peu perdre la raison, seule la jeune Isabelle parvient à garder la tête froide. Tirant magnifiquement parti des décors, chaque visage que filme Goretta semble sortir d’un tableau d’Albert Anker, peintre suisse connu pour ses représentations de la vie rurale. À la fois dur et poétique, ce film gagne à être redécouvert.
«Milsu (Smugglers)»
Des pêcheuses d’abalone qui déchirent, une abondance de rayures 70’s et de l’action flamboyante sur fond de contrebande : tel est le résultat pop du mélange détonnant que compose «Milsu (Smugglers)», opus coréen présenté à Locarno sous les étoiles de la Piazza Grande. Jouant à fond la carte du film d’action, délicieusement rétro, «Milsu (Smugglers)» rend hommage avec humour à la verve et à la pugnacité des haenyeo, des femmes qui sont les seules à oser – et à savoir – plonger quand les hommes se réservent les tâches les moins exposées. Utilisant à bon escient le split screen, avec une musique et un montage à la hauteur des visuels, «Milsu (Smugglers)», bonbon coloré et acidulé, constitue un divertissement de choix.
«Do not expect too much from the end of the world»
Savoir ne pas se prendre au sérieux est un art. Le faire avec une verve parfaitement assumée tout en ne boudant pas son plaisir est l’exploit que réussit Radu Jude, cinéaste roumain primé en 2021 à Berlin avec un Ours d’or pour «Bad Luck Banging or Loony Porn» et gagnant du Prix spécial du jury à Locarno cette année. Angela, assistante personnelle dans une agence de communication, doit tirer des journées harassantes entre les demandes de son boss et celles des clients. Dans un savoureux montage en épingles à cheveux, son existence fait écho à celle d’une autre Angela, chauffeuse de taxi dans le Bucarest des années 80, et Bobita, alter ego masculin vulgaire et grossier qui sévit sur TikTok. Critique au vitriol du capitalisme, bourré de références culturelles et d’astérisques littéraires, farce libertine et hilarante, le film éclate toutes les frontières avec jubilation pendant près de 3 heures.
La sélection de Marine Guillain :
«La bella estate»
Dès les premières minutes de «La bella estate», quelque chose de magique s’est produit. Était-ce la douceur et la poésie des images choisies par la réalisatrice italienne Laura Luchetti dans cette adaptation du roman éponyme de Cesare Pavese? Était-ce cette façon, à la fois sensible et sensuelle, de filmer l’éveil à la sexualité et l’entrée dans l’âge adulte à travers l’héroïne Ginia (hypnotique Yle Vianello)? L'ambiance unique de la Piazza Grande et de ses 8000 sièges, sur laquelle régnait une température agréablement douce sans une seule goutte de pluie ce soir-là, y était-elle pour quelque chose? Quoi qu'il en soit, l’atmosphère à la beauté élégante du long métrage nous a captivé du début à la fin, nous imprégnant de sa douce nostalgie.
«Manga d’Terra»
Le Morgien Basil Da Cunha est sans conteste un réalisateur à part, qui travaille d’une façon bien particulière. Pas de scénario concret, pas de comédiens et comédiennes professionnel.le.s, il s’inspire de la vie pour créer des instants cinématographiques de grâce. Il nous avait conquis avec son précédent métrage, «O Fim do Mundo», dans lequel un jeune homme sortait de maison de correction et redécouvrait son quartier, en voie de démolition. Dans «Manga d’Terra», Basil Da Cunha filme le même quartier lisboète, Reboleira, une partie des mêmes personnes, et réalise un film sur la force des femmes et la sororité. Il met en avant Rosa (Eliana Rosa et sa voix envoûtante), une chanteuse arrivée du Cap-Vert qui tente de trouver sa place dans le quartier. Images sublimes, bande-son puissante, plans-séquence renversants, drame et humour côtoyant poésie et mystère: le cinéaste raconte le réel, l’humain, dans ce qu’il appelle «un musical ghetto». «Je filme des moments de vie, des gens qui vivent des choses et qui réagissent, je filme la vie et c'est un cadeau merveilleux», a-t-il déclaré à l’issue de la première à Locarno. Et c’en est aussi un pour le public.
«Shayda»
Coproduit par Cate Blanchett, «Shayda» était présenté sur la Piazza Grande en clôture du Festival de Locarno. La jeune réalisatrice Noora Niasari s’est inspirée de son vécu pour mettre en scène le récit puissant d’une jeune mère iranienne et de sa fille de six ans qui, fuyant un mari violent, trouvent refuge dans un centre pour femmes en Australie. «Shayda» est incarnée par l’incandescente Zar Amir Ebrahimi (aussi membre du jury de la Compétition Internationale), qui depuis son prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes en 2022 pour son rôle de journaliste dans «Les Nuits de Mashhad», crève l’écran à chacune de ses apparitions. Un récit tendre, touchant, prenant, mélange de ténèbres et d’espoir.
La sélection de Théo Metais :
«The Invisible Fight»
Au milieu de la très éclectique Compétition Internationale s’était glissé «The Invisible Fight», une curiosité venue d’Estonie. Dernière lubie du cinéaste Rainer Sarnet (acclamé pour son film «Novembre» en 2017), le film nous emporte dans l’univers d’un monastère orthodoxe en Union soviétique où un énergumène, interprétée par Ursel Tilk, souhaite devenir moine et apprendre le kung-fu. Inspiré de la véritable vie d’un certain Père Raphaël, son parcours initiatique sera truffé d’embûches et porté par les partitions rock de Black Sabbath. Une narration découpée en chapitres, épurée de ses dialogues, teintée du souvenir du «Secret des poignards volants» et frôlant la surenchère de kitsch et d’effets psychédéliques, «The Invisible Fight» est autant un régal visuel qu’une œuvre singulière, délicate et attentive aux introspections de ses personnages. Rainer Sarnet était l’OVNI indétrônable de la Compétition Internationale.
«Patagonia»
Remarqué pour ses courts-métrages et pour avoir notamment réalisé le clip «I Wanna Be Your Slave» du groupe Måneskin, le sicilien Simone Bozzelli a quelque peu réveillé la Compétition Internationale du Festival de Locarno avec son premier long-métrage. Dans «Patagonia», il raconte l’histoire du jeune Yuri (Andrea Fuorto) qui quitte son village pour partir avec Agostino (Augusto Mario Russi), un artiste clown pour les enfants, au tempérament épineux et qui vit dans un camping-car. De leur trouble rencontre, le cinéaste en décante un voyage toxique, violent, tendre, disruptif et pourtant envoutant. Si le dispositif du film est certes un peu élémentaire, «Patagonia» nous ramène à la fragilité des êtres et à l’innocence sacrifiée d’un coup de sabre. «Patagonia», la terre des êtres libres, disent-ils, est le titre d’un film que l’on récite depuis comme un mantra !
«Yannick»
Parallèlement à sa sortie au cinéma en France, le Festival de Locarno s’était offert la présence en Compétition de «Yannick», nouvelle élucubration surréaliste de Quentin Dupieux. Dans un théâtre parisien, trois protagonistes interprètent un mauvais boulevard centré sur une affaire de cocu. La représentation se déroule sans encombre jusqu’à ce qu’un certain Yannick (incroyablement interprété par Raphaël Quenard) interrompe la pièce et demande aux acteurs de rendre des comptes. D’abord fichu à la porte, il revient dans la salle avec des propositions et Quentin Dupieux déroule le tapis rouge à bien des interprétations. Serait-ce une fable sur le divertissement, une critique de l’art bourgeois, du cinéma d’auteur, de l’esprit critique ou un hommage à la beauté singulière des laissés-pour-compte? Alors que ce modeste gardien de parking prend en otage le théâtre, «Yannick» devient aussi la métaphore un peu ironique, et franchement méta, des salles obscures et leurs initié.e.s. Un huis-clos poétique, volubile, porté par les prodigieux monologues de Raphaël Quenard. Certainement à ce jour le film le plus touchant du réalisateur.
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