Kritik14. Januar 2024
«Pauvres Créatures», si la créature de Frankenstein était une femme
Après «La Favorite» (2019), avec lequel il avait rencontré un vif succès lors de son passage à la Mostra de Venise, Yórgos Lánthimos est de retour sur le Lido avec Emma Stone dans le rôle audacieux d’une créature de Frankenstein au féminin.
(Une critique de Damien Brodard, depuis la Mostra de Venise 2023)
Au cours d’une expérience scientifique, le docteur Goldwin Baxter (Willem Dafoe) parvient à faire renaître une jeune femme du nom de Bella (Emma Stone). Alors qu’elle n’a pas plus de capacités cognitives qu’un enfant, Bella apprend à connaître le monde qui l’entoure à une vitesse impressionnante. Sa soif de connaissance la pousse à partir en voyage aux côtés de Duncan Wedderburn (Mark Ruffalo), un avocat mal avisé.
Le réalisateur grec frappe une fois de plus un grand coup ! En prenant comme point de départ le mythe de la créature de Frankenstein, Yórgos Lánthimos va au-delà du modèle pour livrer une œuvre aussi extravagante que passionnante sur le corps féminin et son enfermement par le patriarcat. De la bouche d’une femme-enfant encore ingénue, la moindre interrogation ou action innocente agissent comme un coup-de-poing redoutable envers la société patriarcale, remettant en question la manière dont cette dernière contrôle les femmes.
Au cours d’un périple rocambolesque, le personnage de Bella découvre son corps, expérimente sa sexualité sans honte ni tabous, loin des représentations usuelles du désir féminin au cinéma. Que dire de l’interprétation sensationnelle d’Emma Stone qui, sur un registre à la frontière entre le burlesque et la performance à Oscar, porte le long métrage avec une espièglerie fascinante. Son implication hors du commun a d’ailleurs été saluée par le réalisateur lors de la présentation du film sur le Lido.
De son côté, Lánthimos poursuit ses expérimentations visuelles fantasques : grands-angles exorbitants, fish eyes inattendus, on retrouve bien toute la panoplie du réalisateur. Si cette mise en scène insolite sied parfaitement au ton décalé de l’œuvre, l’utilisation de ces procédés n’est pas toujours évidente à justifier, bien que l’on se laisse volontiers emporter dans ce tourbillon d’images insensées. De plus, cet univers formidable tire sa saveur si particulière de sa direction artistique somptueuse, proche du kitsch et pourtant évidente tant le tout paraît parfaitement cohérent malgré la surenchère.
On pourrait regretter que l’écriture tombe dans une légère redondance lors de son dernier tiers, mais la pertinence du propos ainsi que l’humour exquis – mention spéciale à Mark Ruffalo – font très facilement oublier ces quelques tares. En somme, «Pauvres Créatures» réussit là où «Barbie» (2023) échoue : le long métrage s’insère parfaitement dans l’air du temps en se payant le luxe de proposer un discours profond et engagé. Assurément déjà l’un des grands films de la 80e Mostra de Venise !
4,5/5 ★
Le 17 janvier 2024 au cinéma.
Plus d'informations sur «Pauvres Créatures»
Bande-annonce de «Pauvres Créatures»
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