Kritik21. Dezember 2020 Emma Raposo
Netflix: «Le Blues de Ma Rainey» - Dernière chanson pour Chadwick Boseman
Comme un ultime tour de piste, l’acteur décédé cet été s’offre sur Netflix, aux côtés de Viola Davis, un dernier rôle à la hauteur de sa carrure. Hymne à deux temps, «Le Blues de Ma Rainey» raconte ce jour moite de 1927 où la «Mère du Blues» au tempérament de feu a frappé de son talent et de sa fougue en enregistrant l’album culte «Ma Rainey’s Black Bottom».
Le visage grimé à outrance, les dents serties de métal, une robe bariolée et un éventail paré de plumes turquoises, sous ses allures clownesques Ma Rainey (Viola Davis), juchée sur une scène de fortune, donne un concert dans la torpeur d’une nuit du sud. Soirée clandestine, la pionnière du Blues rassemble ses pairs autour de ses chants endiablés. Bientôt, c’est l’industrie de la musique guidée par des blancs qui prête une oreille attentive à l’extravagante chanteuse. De passage à Chicago pour enregistrer son album, la chanteuse, accompagnée de Cutler, Toledo, Slow Drag et Levee, son groupe de musiciens, déboule dans le studio où agent et producteur blancs pensent pouvoir la dompter. C’était sans compter le caractère intempestif de l’artiste.
Alors que les répétitions battent leur plein, des tensions se font de plus en plus vives entre la diva, son agent et ses musiciens, parmi lesquels Levee (Chadwick Boseman) un trompettiste talentueux bien qu’opportuniste voulant s’affranchir de la bien nommée «Mère du Blues». Rescapé de la vie et endolori par les atrocités passées perpétrées par les blancs, Levee arrache de son vécu sa hargne et son acharnement, à l’image de Ma bien décidée à ne céder aucun de ses droits à tout oppresseur quel qu’il soit. Car l’oppression est le thème fleuve du récit. De la domination des blancs aux violences et inégalités infligées à la communauté noire, moteurs de l’ambition dévorante des protagonistes, la thématique raciale traverse le film de bout en bout, faisant écho aujourd’hui encore hélas à l’actualité.
Le duo Davis-Boseman est au sommet de son art...
Et pour incarner la lutte contre cette oppression, le duo Davis-Boseman est au sommet de son art sous les ordres du réalisateur Georges C. Wolfe. En première ligne, Viola Davis interprète admirablement une Ma Rainey charismatique et impitoyable. La femme, pionnière du Blues, ouvertement lesbienne et seul personnage non-fictif du métrage aura su, grâce à son tempérament combattif, faire plier la figure du pouvoir blanc. Face à elle, Levee, musicien ambitieux et teigneux prêt à tenir tête à celle que tout le monde redoute, joué par le regretté Chadwick Boseman. Plus incarné que jamais, l’acteur livre une ultime performance royale avant de tirer sa révérence, lui ouvrant la voie des récompenses posthumes.
Magnifié par la photographie somptueuse de Tobias A. Schliessler, le film, adapté d’une pièce de théâtre d’August Wilson, rend justice à son matériel de base en reprenant les codes du théâtre classique. Dialogues verbeux, monologues exaltés, unité de lieu, d’action et de temps, la scène d’ouverture mise à part, quitte à être trop statique le parti pris cinématographique comportait son lot de risques. Le résultat, lui, est un huis clos bouillonnant traduisant à la perfection la chaleur étouffante et accentuant le sentiment d’oppression aliénant chacun des visages du récit. Il faudra compter avec Netflix dans la course aux Oscars.
4/5 ★
Disponible sur Netflix.
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