Review29. Januar 2024 Theo Metais
Critique de «Menus Plaisirs - Les Troisgros», au petit bonheur alléchant
La légende du documentaire Frederick Wiseman plante sa caméra du côté de l’illustre famille Troisgros. Il en résulte une messe savoureuse et fidèle au travail du cinéaste.
Voilà trois générations que la famille Troisgros maintient sa réputation et le prestige de son restaurant en France, du côté de Lyon. Il y a Michel, chef étoilé, Marie-Pierre, son épouse, et leurs enfants, César, Léo et Marion. Chez les Troisgros, la gastronomie est une tradition familiale. Une histoire que d’ailleurs Michel aime détailler à ses hôtes qu’il salue le soir. À 65 ans, les années sont passées, et la relève de Michel Troisgros est assurée par sa progéniture. Frederick Wiseman observe cet univers singulier comme autant d’occasions de méditer sur l’agriculture, l’écologie, la gastronomie, le vivant, la filiation.
Frederick Wiseman aime les antres, sa caméra a souvent porté la voix des reclu.e.s. Oscar d’honneur en 2017 et du haut de ses 94 ans printemps, l’ancien professeur de droit à Harvard s’est promené dans les institutions de la société. Une démarche entamée en 1967 avec «Titicut Follies», miroir d’une réalité carcérale dans un hôpital psychiatrique pour criminels, et qu’il prolonge notamment dans son chef-d'œuvre «Welfare» dans un bureau d'aide sociale new-yorkais. En bientôt 60 ans de carrière (et plus de 40 films), Wiseman nous a parlé de l'élevage intensif de viande («Meat», 1976), d’un centre d’accueil pour femmes («Domestic Violence», 2001), d’un ghetto à Chicago («Public Housing», 1997), d’une célèbre salle de spectacle parisienne («Crazy Horse,», 2011) et des libraires de la Big Apple («Ex Libris: The New York Public Library,», 2017).
Les œuvres de Wiseman sont autant des investigations que des chroniques du monde occidental. «Menus Plaisirs - Les Troisgros» s’appréhende alors comme le nouveau chapitre d’une œuvre, inégale parfois, mais fleuve et surtout attentive à la comédie humaine. Ici, les plats conversent avec les étoiles. Le documentariste nous parle avec épure, comme à son habitude, dans des plans resserrés, interrompus. Et si la caméra tremble, elle nous ramène à l’immédiateté de ce qui est vu, de ce qui est dit.
Boîte de Petri des Troisgros, le documentaire capte durant quatre heures des instants éphémères dans leur cuisine, dans leurs jardins, observe leurs confidences, leurs humeurs, les saveurs et les protagonistes qui jaillissent de ces saynètes. La famille se dévoile dans un film intime, à la fois messe, introspection et mise à distance, alors qu’il est bientôt l’heure de rendre le tablier pour Michel Troisgros. À la faveur du réalisme, le film profite d’un savant montage pour arc-bouter les divagations culinaires à une forme de réalité narrative.
Menus plaisirs… le titre nous avait laissés songeurs. Renverrait-il à la fragilité de nos félicités ou serait-ce une invitation au désir ? L’intérêt de «Menus Plaisirs - Les Troisgros» se trouvera peut-être dans cette dualité alors que les institutions culinaires sont sujettes à bien des bouleversements. Les Troisgros nous ramènent aussi à une forme d’ironie alors que nombre de leurs valeurs fondamentales (la famille, l’espace, la lumière, le temps, l’humain, la quiétude, le partage, la poésie et la spiritualité) deviennent l’apanage de ces bulles de prestige. Moins critique, plus contemplatif, le regard de l’ancien juriste n’a toutefois rien perdu de sa capacité à observer ses contemporain.e.s.
4/5 ★
Au cinéma le 31 janvier
Plus d'informations sur «Menus Plaisirs - Les Troisgros»
Bande-annonce de «Menus Plaisirs - Les Troisgros»
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