Interview7. März 2019 Theo Metais
Denis Côté - « Il n’a jamais été envisagé de faire un film de zombie classique »
Délicieuse fable surréaliste, le réalisateur québécois Denis Côté réalise, après « Bestiaire » ou encore « Ta peau lisse », « Répertoire des villes disparues », une introspection à la croisée des genres, tournée en 16 mm dans un petit village du Québec, pour une divagation entre Ciel et Terre sur le présent et ses fantômes. L’ancien critique de cinéma devenu réalisateur nous en parle.
Huis-clos sous la neige, c’est l’hiver à Irénée-les-Neiges, modeste village du Québec, en autarcie, « disparu » aux yeux de la métropole. Chapka vissée sur le crâne, l’attelage du pick-up est fin prêt et la neige chute comme à l'accoutumée. Pourtant, rien ne laissait présager le décès du jeune Simon Dubé dans un accident de voiture. Cette année, l’hiver s’endeuille à Irénée-les-Neiges et doucement, les habitants témoignent de curieuses apparitions, des revenants s’invitent.
Cineman : « Répertoire des villes disparues » est indéniablement un film qui mêle les genres. Difficile de dire si c’est un drame ou du fantastique, est-ce une volonté de vouloir défier les genres cinématographiques ?
Denis Côté - C’est amusant que vous disiez ceci car la plupart du temps je n’essaye pas de raconter une histoire. J’ai une bonne cinéphilie, j’ai été critique et j’ai toujours été obsédé par l’Art du cinéma et non pas celui du storytelling. D’ailleurs, je n’ai jamais pensé que j’étais un bon raconteur d’histoires, ni même un bon scénariste. Je préfère m'amuser avec ce qui compose le cinéma à savoir les images, la musique et la structure narrative. Quand j’étais gamin, je me suis nourri au cinéma d’horreur et une fois étudiant en cinéma, j’étais fasciné par le formalisme, Godard, Pasolini, etc.. Il n’a jamais été envisagé de faire un film de zombie classique. Je suis presque trop snob pour ça. Effectivement, c’est un film qui joue avec les attentes. Ce n’est ni un film d’horreur, ni un drame psychologique, et il ne faut pas non plus essayer de comprendre les personnages. D’ailleurs et c’est très curieux, le seul film que j’ai regardé pour m’inspirer avant de faire ce film c’est Nahsville de Robert Altman. Comment raconter une histoire sans avoir de réel personnage central, c’était ça le challenge.
Je n’ai jamais pensé que j’étais un bon raconteur d’histoires, ni même un bon scénariste...
La scène dans la salle de bain rappelle The Shining, d’ailleurs votre actrice Larissa Corriveau a quelque chose de Shelley Duvall non ?
Vous êtes le deuxième à me dire ça. Quand on a monté le film, c’est vrai qu’on s’est dit que cette scène dans la salle de bain était la seule véritable scène d’horreur du métrage. Et vous pouvez voir, vous pouvez sentir que je ne veux pas faire un cinéma d’horreur. J’essaye de ne pas aller trop loin. Je m’en amuse, avec l’alarme incendie par exemple. Mais sincèrement et en ce qui concerne les références, la scène de lévitation c’est évidemment Théorème de Pasolini mais c’est tout. Sur mon film il a été mentionné David Lynch, Twin Peaks, The Twilight Zone... Ces références me conviennent très bien. Quand j’étais critique, je cherchais aussi les connexions mais quand c’est ton 11e long-métrage, tu espères quand même avoir trouvé ta propre signature.
Pourquoi ce choix de filmer en 16 mm ?
Vous avez vu le film, c’est parfaitement connecté à l’ambiance. C’était presque notre seule option. Je me souviens avoir dit au directeur de la photographie que je voulais quelque chose de « résiduel », quelque chose qui serait sur le point de disparaître. Je ne veux pas dire « sale », mais bien « résiduel », comme si le film pouvait aussi se terminer à tout moment. Donc 16mm, finalement c’est du Super 16. On a aussi décidé de ne pas nettoyer les images en laboratoire. C’est en réponse à un cinéma québécois toujours extrêmement propre. Un cinéma de techniciens sur-qualifiés. C’est beau, c’est bien filmé. C’est donc en réponse à ça et puis ça colle à l’histoire. Disons que c’est une proposition, une brutalité poétique.
Mon film s’est retrouvé dans un entre-deux inqualifiable...
On vous invite dans les festivals d’horreur ou fantastique ?
C’est une bonne question parce qu'il y a quelques années par exemple, j’ai fait Vic+Flo ont vu un ours sur une histoire d’amour entre deux femmes, et le distributeur voulait emmener le film sur des festivals queer. Si ça correspondait aux critères des programmateurs, je n’avais rien contre, j’étais partant. On a commencé par les festivals globaux et puis ils ont essayé de le placer sur le circuit queer. Finalement, ils se sont rendu compte que ce n'était pas si queer que ça. Mon film s’est retrouvé dans un entre-deux inqualifiable. Pour moi c’est amusant d’aller chercher la marge, pour les distributeurs et les festivals c’est une autre histoire.
Comment interprétez-vous la réaction de vos personnages ?
Je crois qu’ils ont extrêmement peur, peur de perdre quelque chose de leur confort. Je crois aussi que ça raconte pas mal de choses de là où j’habite. C’était un pays riche, et en même temps vulnérable et fragile. Une communauté de 7 millions de francophones au milieu d’un océan anglophile. On est constamment obligés de surveiller que l’on ne perd rien de notre identité, effrayés de disparaître. Le rapport avec la France n’a rien d’aisé, c’est trop loin, ce n’est pas nous, on a rien de l’Europe. Pareil avec les Américains, c’est compliqué. On est un peu comme ce village dans le film. C’est ça la métaphore presque politique du film. Enfin, si on la rate, ce n’est pas grave non plus (rires).
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(Pas encore de date de sortie en Suisse.)
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