Interview7. November 2023

Benjamin Lavernhe : «J'ai envie de hurler les mots de l'Abbé Pierre»

Benjamin Lavernhe : «J'ai envie de hurler les mots de l'Abbé Pierre»
© JMH Distributions SA

Le comédien français âgé de 39 ans est à l'affiche de «L'Abbé Pierre - Une vie de combat», de Frédéric Tellier. Interview.

(Propos recueillis et mis en forme par Marine Guillain)

Après avoir joué le valet de Maïwenn dans «Jeanne du Barry», qui a fait l'ouverture du dernier Festival de Cannes, Benjamin Lavernhe incarne une des figures françaises les plus mythiques de l'Histoire : l'Abbé Pierre. Lors de notre rencontre avec l'acteur au Festival du film français d'Helvétie (FFFH) à Bienne, celui qui s'imagine faire ce métier toute sa vie nous a raconté à quel point il s'est investi pour incarner ce personnage hors du commun. Aussi présenté au Festival de Cannes, «L'Abbé Pierre - Une vie de combats» sort dans les salles ce mercredi.

Cineman : Vous êtes métamorphosé dans ce film, aussi bien physiquement que dans vos gestes et attitudes: Comment êtes-vous à ce point «devenu» l’Abbé Pierre?

Benjamin Lavernhe : C’est vrai que la ressemblance n'est pas que physique, il fallait aussi rendre compte de son énergie et de sa sensibilité à travers les attitudes et les prises de parole. Frédéric Tellier voulait parler de l'homme derrière le mythe, raconter sa vie romanesque, en y insufflant un souffle de western. L’Abbé Pierre était un homme multiple, tourmenté dès sa plus jeune enfance, avec beaucoup d’angoisses. J’ai essayé de représenter tout ça avec une certaine douceur et chaleur. Le scénario et les dialogues ont aussi extrêmement défini la grammaire du personnage et sa manière de parler. Et bien sûr, il y a eu tout le travail d'archives: il y a beaucoup de photos qui m’ont permis de repérer sa posture, la position de sa mâchoire, sa tête légèrement sur la droite… J'ai fait un chemin vers lui et c'est un plaisir d'acteur de jouer autre chose que ce que je dégage dans la vie.

Et lorsque vous l'incarnez vieux, dans la dernière partie du film?

BL : Ah là, c'était encore un autre délire, avec 6 heures de maquillage par jour! Je me levais à 2h et j'étais sur la chaise de 3h à 9h non stop. Je faisais des petits comas et quand je me réveillais j'avais soudain pris 30 ans!

Avez-vous tourné chronologiquement?

BL : On a tourné par bloc, mais pas chronologiquement. En tout j'ai neuf stades de vieillissement. J'avais trois tailles d'oreilles, une bosse pour le dos quand je suis âgé… De manière générale, je gardais le même âge toute la journée, mais il est arrivé que je sois vieux le matin et que l’on m’enlève toutes les prothèses à midi pour que j'aie 25 ans l'après-midi! La question de la ressemblance est toujours intéressante dans un biopic. Je mesure 1m87, il en faisait 1m67, est-ce que c'est grave? Les gens qui vont voir un tel film savent qu’ils vont voir quelqu’un jouer un rôle donc ils n’ont pas forcément besoin que l’apparence soit identique à celle du personnage d’origine. En même temps, lorsque la ressemblance est frappante grâce aux techniques de maquillage, c’est impressionnant, ça fait partie du plaisir du spectacle.

© JMH Distributions SA

Comment vous-êtes vous préparé au tournage en amont?

BL : La préparation a duré deux mois et demi. J'ai fait une grosse mise au point sur sa vie, avec beaucoup de lecture, c'était ma nourriture. Il fallait que j'aie l'impression de le connaître un peu pour me sentir légitime. Qu'est-ce qui fait que moi, Benjamin, j'aie été choisi pour jouer l'Abbé Pierre? En redisant ça aujourd’hui là, je continue de penser que c'est improbable, incroyable! Dans ma préparation, j’ai aussi fait un voyage à Assises, sur ses traces: un jour il s'était levé tôt pour monter dans un monastère qui domine les plaines d'Ombrie et il raconte que l'essentiel de sa vie s'est décidé à ce moment-là. J'ai fait le même pèlerinage, en me levant à 5h du matin. J'étais très ému.

On a l’impression que vous connaissez l’Abbé Pierre par cœur. Que connaissiez-vous de lui avant le projet du film?

BL : Je me souviens de lui vieux, de son énergie, de sa colère même, et de sa détermination vissée au corps. Il avait une voix qui dénotait dans le paysage médiatique, il était comme un prophète. Ce n’était ni un politique, ni un journaliste, ni un artiste, c'était un homme d'église mais qui ne parlait pas de sa foi. Il avait une parole libre et révolutionnaire. Il prenait position sur la contraception, sur le mariage homosexuel, ce qui devait faire hurler les hautes instances religieuses. Je percevais cette liberté lorsque j'étais adolescent. Il captivait son auditoire et les gens l'écoutaient, c'est pour ça qu'il est parvenu à faire passer des lois et à avoir une influence. C’était une superstar, il déchaînait les foules, mais en même temps il souffrait du culte qu'on lui vouait. C'était son destin. Des bonhommes comme ça, il y en a un par siècle!

© JMH Distributions SA

Est-ce que votre expérience sur ce long métrage a changé quelque chose en vous?

BL : Oui, c'est une expérience qui marque à vie. Il y a beaucoup d'espoir dans son combat, même s'il ne peut pas se gagner. Je suis admiratif, il a été comme un compagnon de vie très inspirant, comme un héros. Je trouve que l’Abbé Pierre montre une voie à suivre à notre échelle. Si ça peut inspirer les gens, que ça fasse un petit électrochoc et que le public puisse sortir de la projection un peu changé, ce serait génial. On parle d'un homme militant, mais le film n'est pas donneur de leçon ni culpabilisant, il est inspirant. Surtout à une époque où l'on se blinde beaucoup car il y a trop d'horreurs. La misère est partout et parfois on se met des œillères, sinon on a l'impression qu'on va pleurer à chaque coin de rue.

Faire ce métier procure-t-il toujours la même excitation au fil des ans?

BL : J'essaie de toujours partir sur des projets qui me galvanisent et me tirent vers le haut. Un biopic comme ça, c'était vraiment un rêve de cinéma. J'arrivais sur le plateau avec tous ces décors, ces voitures anciennes, ces figurants… j'étais émerveillé! Il y avait ce kif énorme de grand film d'aventure, d'épopée épique, et en plus, ça avait du sens, c’était en accord avec les valeurs que j'ai envie de défendre. J'ai envie de hurler les mots de l'Abbé Pierre. Ensuite, c’est sûr qu’il faut être en forme car une telle implication peut être épuisante, mais c'est dur d'être blasé. On nous demande souvent pourquoi on est acteur et j'ai des réponses à cette question à chaque film. J’ai la chance de faire du cinéma et du théâtre et je pense que je ferai ça toute ma vie. C’est un métier de passion et de vocation, que l’on fait jusqu'à son dernier souffle.

Bande-annonce de «L'Abbé Pierre - Une vie de combats»

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