Interview15. Oktober 2024 Cineman Redaktion
Rencontre avec Elie Chapuis, animateur lausannois derrière «Sauvages»
Après avoir œuvré sur «Ma vie de Courgette», «Interdit aux chiens et aux Italiens» ou encore les films de Wes Anderson, le Lausannois Elie Chapuis fait partie de l’équipe de «Sauvages », de Claude Barras, en compétition au dernier Festival d'animation d'Annecy. Rencontre.
(Propos recueillis et mis en forme par Marine Guillain. Annecy 2024)
Qui es-tu?
Je m'appelle Elie, j'ai 44 ans, je viens de Lausanne et j'y habite, mais je travaille un peu partout en Europe, ce qui est une des spécificités de la stop motion. Je suis animateur de marionnettes, réalisateur et producteur d'animation.
Quel est le premier film d'animation que tu as vu?
«Les 101 Dalmatiens»
Qu'est-ce que ça t'avait procuré alors?
Je me souviens d'avoir été complètement captivé par cette aventure, mais je garde surtout le souvenir de l'expérience de la salle de cinéma où j’étais accompagné de ma grand-mère.
Le film d'animation que tu as vu le plus de fois?
Ça se joue entre «Wallace & Gromit : The Wrong Trousers» et «Dimensions of dialogue» : j’ai dû les voir entre 30 et 50 fois.
Quel est le premier métier que tu as voulu faire?
J'étais fasciné par les pelleteuses, et quand j'avais environ quatre ans, l'intitulé précis de mon métier de rêve était «chef des tracks du monde entier». C'était une première vocation très forte!
Comment es-tu passé d'aspirant «chef des tracks du monde entier» à animateur?
J'ai eu une révélation vers 12 ou 13 ans, en voyant des films tchèques en stop motion lors d'une journée sur les 100 ans du cinéma en France sur Arte. Ils étaient très simples, c'était si étonnant que j'ai ressenti le besoin de comprendre et d'essayer moi-même.
Quelle a été l'étape suivante?
J'ai commencé à faire des petits films dans le grenier de mes parents avec mes jouets ou de la pâte à modeler et une caméra Super 8. J'étais ado. Plus tard, j'ai rencontré des pionniers de l'animation en Suisse, comme Nag Ansorge par exemple, qui m'ont dit de foncer et qui m'ont aidé avec le réseau. Je me suis ensuite formé à l'École des métiers du cinéma d'animation (EMCA) à Angoulême.
Comment es-tu arrivé sur le tournage des films de Wes Anderson?
Grâce à des collègues anglais que j'avais rencontrés sur «Max&Co», j'ai su que «Fantastic Mr Fox» se mettait en route et j'ai tenté ma chance. Personne ne me connaissait à Londres. Dans le métier, ça fonctionne beaucoup par réseau.
Qui est Wes Anderson pour toi?
C'est quelqu'un qui a affirmé un style dès ses premiers films, personne n'avait jamais fait ça avant et ça a été un choc pour moi. J'ai travaillé près d'un an sur «Fantastic Mr Fox», mais je n'ai eu aucun contact avec lui: il ne voulait pas être sur le tournage et ne passait voir les plateaux que tous les deux ou trois mois, à la pause de midi, quand il n'y avait personne.
C'est très différent de ce que tu as vécu ensuite, par exemple sur «Sauvages»…
Oui, ce n'était pas facile pour l'équipe et à titre personnel, j'ai regretté cela, car les rares fois où je l'ai croisé, je l'ai trouvé adorable. En même temps, il était au taquet, dirigeait tout minutieusement, il y avait des centaines d'échanges d'emails au quotidien. Il disait que si ce qu'il voyait sur son écran lui convenait, il n'avait pas besoin de voir ce qu'il se passait sur place.
Est-ce que ça s'est déroulé de la même manière pour «L'île aux chiens»?
Oui, c'était le même style de tournage, mais en mieux organisé et en plus relax.
Comment as-tu rencontré Claude Barras?
Je crois que c’était dans un cinéma de Lausanne qui n'existe plus, à la projection de «Banquise», court métrage qu’il a coréalisé avec Cédric Louis. J’ai ensuite bossé avec lui sur «Sainte Barbe» et c’était le pied. Je venais de faire «Max&Co», j’avais beaucoup appris, j'étais en confiance et l’ambiance sur le plateau était super. Depuis, en comptant la réalisation et la production, Claude et moi avons travaillé sur une quinzaine de projets ensemble.
Quel est ton meilleur souvenir du tournage de «Sauvages»?
Spontanément, je dirais le premier jour, lorsque tu dois te pincer pour te dire qu'au bout de sept ans de préparation, ça y est, il y a des décors, une équipe, et ça démarre pour de vrai. Et le dernier jour, lorsque, après avoir regardé le montage brut dans un cinéma loué pour l'occasion à Martigny, on a passé 1h30 sur le trottoir à se prendre dans le bras et à pleurer d’émotion.
Et quel a été le plus gros défi?
La pression, permanente, de devoir rester dans le délai imparti et de boucler le film sans un seul jour de retard.
Qui est ton personnage préféré du film?
J'ai un faible pour Selai, le cousin de Kéria, avec sa voix cassée et son côté lunaire. Il a beaucoup d'humour et il est très intègre, c'est un pur.
Quelle est la scène qui te touche le plus?
Lorsque le père de Kéria raconte la vraie histoire de sa maman. Elle est très sobre, sans faste, mais elle est hyper expressive. Cette séquence est très représentative du travail extraordinaire de Claude sur les émotions.
Qu’est-ce que ça représente de montrer le film ici à Annecy?
Les séances dans la grande salle de Bonlieu avec 1000 spectateurs et spectatrices qui réagissent, c'est hyper puissant. Il y a énormément de respect pour les films, car tout le monde sait le travail que ça représente. En même temps, c'est aussi un public exigeant, donc ça fait peur, mais quand ça se passe bien, c'est magique.
Peux-tu nous parler d’Helium Films?
C'est une boite de production et un studio d'animation fondée par Claude Barras en 2002 à laquelle je me suis associé. Nous faisons essentiellement du développement, de la recherche de fonds, de l’écriture et de la production.
Tu as toi-même réalisé deux courts métrages, «Imposteur» en 2013 et «Canard» en 2023 : as-tu un projet de long métrage?
J’aimerais adapter un livre pour enfants dans un film en stop motion de 26 minutes pour la télévision. C’est un format qui m'excite beaucoup, car je trouve qu'en une demi-heure, tu peux raconter une histoire complexe et développer des personnages, sans la pression énorme du long métrage, qui est compliqué à financer et doit fonctionner en salle. Je fais aussi des tests pour un projet de film inspiré du Land Art, dans lequel j’animerai des éléments naturels, de la forêt par exemple. Côté long métrage, je vais travailler sur le prochain film de Claude Barras, «Ce n’est pas toi que j’attendais», adapté de la bande dessinée de Fabien Toulmé.
Plus d'informations sur «Sauvages»
Au cinéma le 16 octobre prochain.
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