Ursula Meier sur «La ligne» : «J’ai cherché ce lieu dans toute la Suisse»

Lors d’une rencontre au Festival de Zurich, la réalisatrice suisse s’est confiée sur son nouveau long métrage, «La ligne», à découvrir au cinéma le 11 janvier. Ce drame a été tourné au Bouveret et met en scène une famille de femmes explosives.

(Propos recueillis et mis en forme par Marine Guillain)

Après la Berlinale en février 2022, «La ligne» s’est baladé dans divers festivals, d’Istanbul à Thessalonique en passant par Busan, Sao Paulo, Montréal ou encore le ZFF à Zurich. C’est lors de ce dernier, en septembre, que nous avons pu interviewer Ursula Meier, qui signe son grand retour au cinéma, dix ans après le plébiscité «L’enfant d’en haut». Dans «La ligne», la trentenaire Margaret (sublime Stéphanie Blanchoud) n’a plus le droit d’approcher sa mère (Valéria Bruni Tedeschi) ni sa maison à moins de 100 mètres, à cause d’une violente dispute. Mais cette distance imposée augmente son désir de se rapprocher des siens et elle campe chaque jour sur cette frontière invisible…

Cineman : Ursula Meier, vous avez tourné votre dernier film il y a près de deux ans, en hiver 2021, au Bouveret. Tout près de Monthey, où vous aviez filmé «L’enfant d’en haut»: comment avez-vous choisi le décor de «La ligne»?

Ursula Meier : Le travail de recherche a été très long, mais passionnant. Je suis partie d'un monde imaginaire. Je voyais une maison proche d'une route, des rues très larges, à l'Américaine... Avec ma cheffe opératrice, Agnès Godard, on a cherché ce lieu dans toute la Suisse, on a sillonné le pays durant le confinement, mais on n'a pas trouvé!

Le Bouveret ne ressemble pas vraiment à cette description…

UM: Non, parce qu’ensuite on a essayé de trouver une maison qui se trouvait dans un endroit très hétéroclite. C’est ce qui m’a ramenée au Valais, un endroit que j'aime beaucoup filmer. Au Bouveret il y avait la ligne de chemins de fer, les tours HLM, la marina, les montagnes, et le canal bien sûr, qui renforce l'idée de la ligne... c'était très hétéroclite et tout était très proche. Avec Agnès, on comptait littéralement nos pas pour voir où ça nous amenait dans un espace de 100 mètres!

Pourquoi avez-vous choisi de tourner en hiver?

UM: C'était important que ça se passe en hiver, pour que le personnage de Margaret attende dans le froid, dans un climat hostile. On n'a pas tourné dans l'ordre donc cette ligne a été compliquée à gérer, il fallait l'enlever et la remettre. Il a aussi neigé deux fois au Bouveret, ce qui était compliqué pour les raccords! Et puis le Covid a extrêmement compliqué les choses…

Qu'est-ce qui a été le plus difficile pour vous?

UM: La distance avec les comédiens. Habituellement j’aime les toucher, être proche d’eux, alors je me suis vraiment demandée comment j’allais guider au mieux mes acteurs en portant un masque. Mais d'une façon, j'étais mise à distance comme l'est le personnage dans le film, et je me suis dit que comme elle, on m'imposait une distance.

Après «Home» et «L’enfant d’en haut», vous placez à nouveau la famille au centre de votre film: pourquoi?

UM: L’idée d’origine était de mettre en scène un personnage féminin violent. Il se trouve que l'origine de la violence prend ses sources dans la famille, donc je suis revenue à ce thème. Je trouve passionnant, la famille, c’est un groupe ou chacun a une place très définie. Dans «La ligne», Margaret a deux sœurs, et chacune a fait comme elle a pu pour se construire et trouver sa place par rapport à une mère aussi défaillante qu’égocentrique.

Une mère, trois sœurs… Le casting est essentiellement féminin, tout comme l’équipe derrière la caméra, avec Agnès Godard ainsi que Stéphanie Blanchoud, qui a coécrit le scénario avec vous: est-ce voulu?

UM: Ce n'était ni une volonté ni un acte militant, mais j'ai toujours travaillé avec beaucoup de femmes, simplement parce que j'estime leur travail. J'ai trouvé intéressant de parler d'une famille de femmes, avec cette mère et ces sœurs, dont l'une qui porte des jumelles! Ce sont des personnages forts. Du coup le casting masculin a été encore plus difficile, car ces rôles devaient être discrets et présents à la fois.

Justement, côté masculin, on retrouve Benjamin Biolay qui joue l’ex de Margaret, Dali Benssalah dans le rôle du nouveau copain de la mère, et le Lausannois Thomas Wiesel, qui est lui le mari de la grande sœur, jouée par India Hair… Dans vos précédents films vous avez dirigé Isabelle Huppert, Olivier Gourmet, Léa Seydoux, Fanny Ardent… Toutes et tous veulent bosser avec vous, non?

UM: Hahaha, je ne sais pas. Non, c’est vrai que je suis extrêmement chanceuse. Pour «La ligne», j’ai vraiment imaginé le rôle de la mère pour Valeria Bruni Tedeschi, et elle était partante. Quant à Benjamin Biolay, il a accepté pour la première fois de jouer le rôle d’un musicien.

Et nous n’avons pas parlé de ce personnage primordial dans le film: la musique, justement, qui tient vraiment un rôle à part entière…

UM: La musique est le seul héritage positif que la mère a transmis à ses filles; la mère la transmet à Margaret, qui la transmet à sa jeune sœur Marion. Stéphanie a beau être chanteuse, elle aussi était réticente au début. Mais elle a fini par accepter de chanter dans le film. Et Benjamin Biolay a finalement composé un morceau exprès pour le film, que j'ai trouvé sublime («Le passé», sorti la semaine dernière sur toutes les plateformes de streaming musical, ndlr). C'était important que la musique prenne cette ampleur dans l’histoire, ce n'est qu'avec elle que Margaret parvient à s'exprimer et à s'ouvrir sur ce qu'elle ressent.

Plus d'informations sur «La ligne»

A découvrir au cinéma le 11 janvier.

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