Interview23. Oktober 2023 Cineman Redaktion
Ken Loach et Paul Laverty sur «The Old Oak» : «On ne veut surtout pas minimiser ce qui leur arrive»
Dans «The Old Oak», Ken Loach et Paul Laverty mettent en scène l’arrivée de réfugiés syriens dans un village anglais. Interview.
(Propos recueillis et mis en forme par Marine Guillain)
Il a fallu attendre le dernier jour du Festival de Cannes pour découvrir «The Old Oak», de Ken Loach. Dans ce nouveau drame social qui arrive après deux Palmes d’or («Le vent se lève» en 2006 et «I, Daniel Blake» en 2016), les habitants défavorisés d’un village du nord de l’Angleterre sont confrontés à l’arrivée de réfugiés syriens. Le propriétaire du pub qui a donné le nom au film, TJ (Dave Turner), se lie d'amitié avec une jeune Syrienne photographe, Yara (Ebla Mari). Cineman a rencontré le réalisateur de 87 ans et son fidèle scénariste, Paul Laverty, au lendemain de la projection officielle sur la Croisette.
Cineman : Qu’est-ce que ça vous fait de clôturer cette édition du Festival de Cannes ?
Ken Loach : À l'époque, nous avions l'habitude de chanter dans les pubs jusqu'à ce qu'ils ferment. Mais faire la fermeture d’un festival, ça c’est une nouvelle expérience! (rires). Le public a été immensément généreux hier soir, c’était formidable, nous en garderons un excellent souvenir.
Vous avez travaillé longtemps sur ce film : comment avez-vous construit le scénario et l'histoire ?
Paul Laverty : Nous sommes allés dans le nord-est de l'Angleterre afin de trouver quelque chose qui capterait les contradictions de notre époque. Ces villages nous ont donné beaucoup d'inspiration. À la suite de la crise de 1984 avec les mineurs, beaucoup de ces communautés ont été dévastées. Les gens ont perdu leur travail, se sont retrouvés avec des emplois précaires, des infrastructures ont fermé, les communautés se sont appauvries… Par la suite, il y a donc eu des réactions contradictoires à l’arrivée des réfugiés. Certains leur ont tendu la main, mais beaucoup de gens étaient très en colère. Pour nous, il était important d’examiner les racines de cette colère et d’essayer de comprendre.
Est-ce le film le plus difficile que vous ayez réalisé ensemble ?
KL : Il est vrai que c'était un film difficile. Tout d'abord, parce que, même si nous lisons dans la presse ce qu’il se passe avec la crise syrienne, nous ne l’avons pas vécue nous-mêmes. Dans la réalité, toutes les familles du film vivent à quelques kilomètres du lieu où nous avons tourné et ces gens connaissent la vérité dans leurs tripes. Dave Turner par exemple, qui incarne TJ, vient de ce village. Il est pompier, il connaît les gens du quartier, il tient aussi un pub, il a déjà dû jeter des gens dehors… donc il sait comment tout ça fonctionne. Paul Laverty a écrit le scénario après avoir écouté les récits des gens de là-bas et il s'est vraiment inspiré de situations réelles. Par contre, il y a beaucoup de scènes que nous aurions pu choisir, mais qui ne sont pas dans le film.
Pourquoi ?
PL : Parce qu'on a seulement deux heures pour tout raconter. Tout doit donc être très concentré et en même temps, il faut suffisamment de temps pour développer l’histoire syrienne, les états d’âmes des personnages, puis une forme de résolution…
KL : Par exemple, l'une des familles du film a failli être exécutée à un poste de contrôle, ils ont réussi à passer de justesse. Nous avons entendu des histoires extraordinaires, mais on ne peut pas toutes les raconter, parce qu'elles sont si terribles que l’on ne veut surtout pas minimiser ce qui leur arrive en ne leur donnant pas suffisamment de place. C’est difficile de trouver le bon équilibre.
Vous êtes des habitués du Festival de Cannes, pourquoi pensez-vous que vos films, ces sujets et votre vision soient tant appréciés par le public?
KL : Eh bien, je pense que si vous pouvez raconter des histoires qui se rapportent à des expériences réelles et que vous le faites suffisamment bien, les gens vont s’y connecter.
PL : Il faut faire confiance à son instinct. L'injustice se trouve partout. Si vous faites suffisamment de recherches, si vous rencontrez suffisamment de gens et si vous les écoutez, il se peut qu'une histoire émerge. Et si ça touche les gens, c’est probablement parce que nous avons creusé quelque chose qui était l'expérience de millions de personnes.
«The Old Oak» est à découvrir au cinéma à partir du 25 octobre.
Bande-annonce de «The Old Oak»
A lire aussi sur Cineman :
You have to sign in to submit comments.
Login & Signup