Elle s’était révélée dans le sulfureux «La vie d’Adèle». Dix ans plus tard, Adèle Exarchopoulos n’a rien perdu de sa fureur. Dans cette coréalisation d’Emmanuel Marre et de Julie Lecoustre, elle incarne une hôtesse de l’air désenchantée. Embarquement dans les rêves d’une jeunesse à bas prix.
(Critique du film: Fanny Agostino)
Après leur court-métrage «D’un château à l’autre» (2018), le couple Marre— Lecoustre derrière l’objectif comme à la ville propose un premier long-métrage évoquant le monde du travail. Une thématique déjà abordée par le premier dans «Ceux qui travaillent» (2018), tourné en partie en Suisse. Mais «Rien à foutre» prend le contre-pied de ce précédent film. Comme le titre l’indique, nous ne suivrons ni un patron confronté à la mondialisation, ni un travailleur face au licenciement économique. Car Cassandre n’a que faire des inégalités de la société néolibérale dont elle n’est qu’un maillon. Une scène illustre parfaitement l’état d’esprit de cette jeune femme. Des collègues syndiqués sont en grève. Ils lui barrent la route. Impatiente et embarrassée, l’impétueuse hôtesse se moque des revendications formulées sur l’avenir. Apathique, elle laisse passivement le gréviste dérouler son discours avant de franchir le barrage et de rejoindre son vol.
Le goût amer d'une jeunesse désenchantée...
Pourtant, Cassandre est une femme dotée d’une grande sensibilité. Pour le bien de ses passagers, elle n’hésite pas à rompre avec le protocole austère de sa compagnie au risque de se faire licencier. Le récit met à jour le managing pyramidal des compagnies aériennes bon marché où règne la dénonciation, où les entretiens par webcam interposée sont la norme. Au contraire d’un Vincent Lindon ou d’un Olivier Gourmet en opposition à ces conditions déshumanisantes, le personnage joué par Exarchopoulos fantasme sa vie à travers de vitrines : celles léchées des réseaux sociaux et des hublots. L’instant est consumé par les aventures nocturnes : des boîtes de nuit de Lanzarote, au coup d’un soir à Varsovie. L’image est saturée, le cadrage est bancal. Elle rappelle nos clichés des soirées trop arrosées, où le flash rend l’ivresse comme une réalité crue.
Quant à la seconde partie du film, elle se détache de cet univers pour aborder le drame familial vécu par Cassandre. On croit élucider les raisons pour lesquels elle fuit la compagnie de son maladroit de père (Alexandre Perrier) et de sa sœur (Mara Taquin). Mais la réalité est plus complexe qu’elle n’y paraît. La cabin crew junior le sait. Mais a-t-elle vraiment envie d’entendre ? Les réalisateurs exploitent cette posture de leur héroïne : les dialogues sont souvent inaudibles, contrairement à la réflexion du spectateur. La mondialisation engendre des contradictions qu’il est compliqué d’accepter. «Rien à foutre» porte définitivement le goût amer d'une jeunesse désenchantée. Sans pour autant être moralisateur, il éclaire les contradictions d'une société. Doit-on poursuivre ses rêves au prix d'une exploitation du travail et des relations humaines ? Constamment en équilibre face à ces questionnements, ce premier long-métrage a le mérite d'explorer brillamment cette réalité qu'on préfère, comme Cassandre, éluder.
4,5/5 ★
Depuis le 4 mai au cinéma
Plus d'informations sur «Rien à foutre».
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