Article7. Februar 2023 Cineman Redaktion
Tête brûlée et science-fiction bricolée : 7 coups de cœur au Festival de Sundance 2023
Comme chaque année à la fin janvier, le Festival du film de Sundance s'est invité dans la petite station de ski de Park City dans l’Utah aux États-Unis pour célébrer le cinéma d'auteur international. Premier grand rendez-vous cinématographique de l’année, cette 39e édition s’est clôturée le 29 janvier dernier. Voici certains des titres les plus marquants de cette édition 2023.
(Un article de Teresa Vena)
1 - «A Thousand and One» – Grand Prix du Jury
A.V. Rockwell, USA, 2022, 117 min
En 1993, Inez (Teyana Taylor) vient de sortir d’une prison pour femmes et essaie de reprendre son travail de coiffeuse à Brooklyn. Pendant son absence, son fils Terry d'environ dix ans, avait été placé dans une famille d'accueil. Lorsque des difficultés surviennent à Brooklyn, elle décide de ne pas en informer les autorités, et pour ne pas risquer de perdre Terry une nouvelle fois, elle déménage avec lui à Harlem. Bientôt, elle lui procure de nouveaux papiers et le scolarise sous un autre nom. Elle lui cachera l'ampleur de cet acte pendant des années – jusqu'à la grande rupture.
Étalé sur une quinzaine d'années, le film de A.V. Rockwell raconte l'histoire d'une famille recomposée qui vit dans l'un des quartiers autrefois les plus pauvres et les plus dangereux de New York. Harlem et sa transformation au fil des ans devient d'ailleurs le troisième protagoniste de ce drame social sensible qui parle de courage, de responsabilité et de cet amour inconditionnel qui unit Inez à son fils. Si le synopsis semble un peu sentimentaliste, il n’en est rien, la réalisatrice évite tous les écueils et ne tombe jamais dans le pathos. Enfin, une très grande force émane de la prestation de l’artiste Teyana Taylor qui incarne le personnage de la mère dans une performance inoubliable.
5/5 ★
2 - «Scrapper» – Meilleur film de fiction international
Charlotte Regan, UK, 2022, 84 min
Georgie a onze ans et vit dans une cité de logements sociaux dans un quartier périphérique de Londres. La jeune fille n'est pas du genre à se laisser faire. Seule depuis le décès de sa mère, elle devrait être placée dans un établissement par les services de la protection de l'enfance. Or Georgie a mis en place une série de manœuvres de diversion. Elle prétend par exemple que son oncle, un dénommé Winston Churchill, s'occupe d'elle. L'assistante sociale ne s’est pas méfiée. Georgie est aussi armée pour les appels de contrôle. Elle a notamment demandé à l'employé d'une épicerie d'enregistrer des phrases qu’elle place habilement pendant les appels téléphoniques.
Dans sa première partie, «Scrapper» est un film extrêmement dense et révèle une mise en scène de haute précision. Les dialogues sont pleins d'humour, à l’image de la protagoniste très convaincante incarnée par Lola Campbell. Le film de Charlotte Regan dépeint également, et avec sensibilité, l'amitié qui la lie à Ali (Alin Uzun), un garçon de son âge. Puis lorsque le père disparu de Georgie (interprété avec brio par Harris Dickinson, vu récemment dans «Sans filtre») réapparaît et qu’il demande à s'occuper de sa fille, le scénario devient quelque peu prévisible. Sur le plan formel, le film essaiera d’alléger sa structure avec des séquences d'interviews fictives, dans lesquelles les personnages de l'entourage de Georgie prennent la parole. Un ressort stylistique qui manquera, certes, d’originalité, mais qui fonctionne.
4/5 ★
3 - «Shortcomings» – catégorie film de fiction USA
Randall Park, USA, 2022, 92 min
Ben (Justin H. Min) n'évite aucune discussion, il ne cède jamais, et surtout pas quand il s’agit de discuter d’un film, de gâcher le stage à New York de sa petite amie (Ally Maki) ou de critiquer le grand amour que sa meilleure amie lesbienne (Sherry Cola) vient de lui présenter. Ben trouve toujours quelque chose de sarcastique à redire. En réalité, il est quelqu’un d’extrêmement charmant, très intelligent et aussi attractif, mais il n'arrive pas à freiner son cynisme – un outil qui lui permet, au fond, de dissimuler sa propre insécurité.
«Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux», «Everything Everywhere All at Once», doucement apparaissent aux États-Unis de plus en plus de films qui donnent une tribune aux Américain.es d’origine asiatique, une minorité du pays jusqu'ici peu représentée à l’écran. Dans cette comédie romantique, il ne s'agit pas de traiter des thématiques sociales ou politiques inhérentes à cette population. Bien que sous-jacentes, l'accent est mis au contraire sur le portrait d'un jeune homme qui cherche encore sa place dans la vie. Le film rappelle les premières comédies de Woody Allen. La mise en scène est dense et pleine d'humour. Une réussite portée par un acteur principal extrêmement doué et particulièrement expressif. Justin H Min, croisé notamment dans la série «New Amsterdam» ou dans le film «After Yang», rayonne dans «Shortcomings».
5/5 ★
4 - «Jamojaya» – catégorie film de fiction USA
Justin Chon, USA, 2022, 90 min
James (Brian Imanuel) est un rappeur indonésien polyglotte qui s'est installé aux États-Unis à l'adolescence. Il s'apprête à travailler sur un nouvel album que sa maison de disques aimerait produire en grand. Ainsi James est envoyé à Hawaï où il baigne dans le luxe. L'essentiel pour la maison de disque est qu’il puisse se concentrer sur son travail. Alors quand son père (Yayu A. W. Unru) décide de lui rendre visite, cela n’est évidemment pas du goût de tout le monde, d'autant plus qu'il s'immisce dans des affaires déjà réglées. Doucement, il commence à le mettre en garde sur les manigances de cette maison de disques qui semble le manipuler pour mieux le dépouiller. Mais James est obnubilé par le succès et repousse son père.
Après «Blue Bayou», drame sentimental avec Justin Chon lui-même et Alicia Vikander, le réalisateur retrouve sa forme avec ce nouveau film. Tant au niveau de la narration que du concept visuel, «Jamojaya» parvient à convaincre. La relation père-fils au centre de l'histoire rappelle les motifs de son film précédent. Or le cinéaste travaille de manière beaucoup plus laconique, ayant moins recours à la surcharge de sentiment. Son film en est d’autant plus pertinent dans ses intentions. Dans «Jamojaya» Chon évite aussi une caméra hypernerveuse en incluant aussi des prises plus statiques. Le langage visuel est plus précis et paraît plus naturel. Enfin, le film est également porté par le talent des deux acteurs principaux, notamment la partition de Brian Imanuel dans le rôle de James, véritable rappeur originaire d'Indonésie.
5/5 ★
5 - «Fair Play» - catégorie film de fiction USA
Chloe Domont, USA, 2022, 113 min
Wall Street est un monde encore très masculin. L'atmosphère y est probablement aussi machiste que ce drame social est impressionnant. Au premier plan de «Fair Play» se trouve un couple d'une trentaine d'années. Incarnés par Alden Ehrenreich et Phoebe Dynevor, ils travaillent dans le même hedge fund et entretiennent le secret de leur relation, car elles ne sont pas tolérées entre collaborateurs. Lorsqu'elle est promue, il lui apporte son soutien et se réjouit pour elle. Mais après les premiers commentaires sexistes parmi ses collègues, l'ambiance se détériore. Bientôt, il se sent mis à l'écart et commence à contester ses qualifications. Et plus la célébration de leurs fiançailles approche, plus la situation entre le couple s'envenime.
Incrédule, on assiste, bouche bée et poings fermés, à l’escalade que dépeint la cinéaste Chloe Domont. La force du film réside dans la conception du psychogramme des personnages, jamais exagéré ni invraisemblable, mais d'un réalisme toujours effrayant. Un film qui aborde avec succès des thèmes comme le sexisme structurel et la violence verbale et physique envers les femmes. Des thématiques qui rappelleront «The Assistant», sans doute un peu plus maîtrisé que «Fair Play», tant ce dernier manque de rigueur vers la fin. De même qu’un peu plus de parcimonie aurait pu améliorer la précision du scénario, «Fair Play» n’en reste pas moins l’un des très bons films de Sundance cette année.
4/5 ★
6 - «Radical» - catégorie Premieres
Christopher Zalla, USA, 2022, 127 min
Matamores est une petite ville mexicaine située non loin de la frontière américaine. On y trouve tout ce que les préjugés sur le Mexique peuvent offrir : Trafic de drogue, violence armée, petite délinquance. Il est inhabituel qu'un enseignant se fasse justement muter ici. Pourtant, Sergio (Eugenio Derbez) est un idéaliste. Il veut offrir de véritables perspectives aux enfants qui se voient attribuer ici, à l'aide de tests de fin d'études manipulés, un diplôme qui ne leur sert à rien. Pour cela, il s'oppose à ses collègues résignés depuis longtemps et au proviseur de l'école. Et contre toute attente, Sergio réussit l'impossible.
Sans sentimentalisme, «Radical» de Christopher Zalla raconte l'histoire de ce véritable enseignant et de l’une de ses élèves qui, grâce à lui, a pu bénéficier d'un soutien pour élèves surdoués. Si quelques longueurs auraient pu être évitées en resserrant son sujet, «Radical» est un film, certes un peu conciliant, mais qui traite de valeurs universelles comme le droit à l'éducation, la responsabilité et la cohésion.
4/5 ★
7 - «Landscape with Invisible Hand» - catégorie Premieres
Cory Finley, USA, 2022, 105 min
En 2030, les VUVV ont pris le contrôle de la Terre. Ils observent les humains depuis longtemps et améliorent leurs technologies, rendant ainsi la classe moyenne obsolète. Les VUVV contrôlent aussi le système éducatif, juridique, supervisent le destin de la Terre et vivent sur des rochers suspendus dans l'atmosphère. Beaucoup de gens sont au chômage, comme la famille d'Adam (Asante Blackk) et Chloe (Kylie Rogers). Alors qu’elle vit dans la rue avec son frère et son père, Adam lui propose d'emménager avec lui, sa mère et sa sœur dans une cave. Bientôt, les deux jeunes tombent amoureux et trouvent un moyen de monnayer ce sentiment en profitant de la naïveté des VUVV vis-à-vis des sentiments humains.
«Landscape with Invisible Hand» pourra être qualifié de film de science-fiction «do it yourself», en faisant référence à la fois aux aspects positifs et aux aspects plutôt négatifs que ce terme évoque. Une production réalisée avec des moyens vraisemblablement limités, les équipements auraient pu être un peu plus fournis. Et si le film aurait mérité une narration plus dynamique, le cinéaste Cory Finley - qui avait fait jouer Anya Taylor-Joy dans le très acclamé «Thoroughbreds» - témoigne d’une patte singulière et exploite de belles idées. Un film qui aura des airs de bricolage, certes, mais qui participent à son charme indéniable.
3/5 ★
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