Tamer Ruggli sur «Retour en Alexandrie» : «Je voulais créer un monde un peu fantasmé»

À travers l’histoire de Sue, le cinéaste Tamer Ruggli se rend sur les traces de sa famille. Pour la sortie de son film, il se confie à nous. Rencontre !

(Propos recueillis et mis en forme par Maxime Maynard. ZFF, 2023)

C’est en octobre dernier, au cours du Zurich Film Festival, que nous avions eu la chance de rencontrer le réalisateur Helvetico-égyptien Tamer Ruggli. Dans la ville qui l’a vu naître, il présentait en première mondiale «Retour en Alexandrie», son tout premier long métrage. Dans un café près de la gare centrale, il a accepté de répondre à nos questions et a partagé avec nous ses inspirations. Alors, départ pour l’Égypte et ses paysages magnifiques !

Cineman : «Retour en Alexandrie» est ton tout premier long métrage, après plusieurs courts. Quels ont été les principaux challenges de cette transition entre les deux formats ?

Tamer Ruggli : La recherche de financement et de subventions en Suisse ont pris du temps, ainsi que le développement. Ça fait presque dix ans qu’on est sur ce film. C'est un vrai parcours du combattant. Mais on a la chance d'avoir des fonds et du soutien. L’écriture est aussi très différente. Il faut être vraiment animée par ce que tu as envie de raconter pour y consacrer neuf ans. Contrairement à un court métrage, beaucoup de gens ont leur opinion sur l'écriture, sur le scénario, sur les choix de casting ou sur les décors. Il faut réussir à défendre les choses auxquelles tu tiens, mais aussi être intelligent et écouter les arguments des autres pour ensuite trouver de nouvelles solutions.

Comment as-tu développé ton scénario ?

TR : J’ai principalement collaboré avec Marianne Brun. En Suisse, on n'a pas de formation scénaristique. J’ai connu Marianne pendant mes études, elle est française, mais vit à Zurich. Elle est très pédagogue et ne s’empare jamais de ton histoire. Elle vient avec des clés narratives et des idées sans jamais te forcer la main. J’écrivais et elle me montrait les éléments qui ne marchaient pas dans le scénario, la dramaturgie ou le développement d'un personnage. On a aussi eu la chance d’avoir Yousry Nasrallah. C'est un peu le Godard du monde arabe, un élève et protégé de Youssef Chahine, cette vague de cinéma d’auteur arabe. Avec lui, on a beaucoup collaboré sur les dialogues. Il a beaucoup d’humour. J’ai une image très nostalgique de l’Égypte et il m’a aidé à ancrer mon récit dans une Égypte plus réelle.

Tu t’es donc inspiré de ta propre histoire ?

TR : C'est très inspiré du deuil de ma mère, de l’Égypte de mes souvenirs d’enfance et de personnes réelles. J'ai eu la chance de documenter ma grand-mère tout un été. Mes grandes tantes, aussi. Il y a des scènes qui sont carrément des retranscriptions de vrais dialogues. Je voulais aussi donner envie, quelque part, de visiter ce pays. Les touristes s’arrêtent souvent à Charm el-Cheikh, mais pour moi, l’Égypte, c'est Alexandrie, c'est Le Caire, c'est le quartier de Zamalek. On a filmé dans les quartiers qui m'intéressaient visuellement, sans volonté de logique géographique. Le désert n'est pas du tout celui sur la route pour Alexandrie. L'hôtel n'est pas un hôtel. Je voulais créer une espèce de monde un peu fantasmé, inspiré de l’âge d'or du pays, celui des années 60, à l’époque de Nasser. C'est une époque que les gens se remémorent avec envie. Le Caire y était quand même à la hauteur de Paris, en termes de mode, de design et de savoir-vivre.

Depuis le début, tu avais Fanny Ardant en tête pour le personnage de Fairouz. Pourquoi ce choix ?

TR : C'est venu assez naturellement. «Huit femmes» de François Ozon a marqué mon envie du cinéma et Fanny Ardant est une actrice que j'admire beaucoup. Elle dégage une élégance intemporelle, une exubérance, une classe propres aux femmes arabes avec lesquelles j’ai grandi. Des femmes qui parlaient français et qui étaient parfaitement à l'image de la Parisienne. J’ai eu la chance de la rencontrer assez tôt. Elle a beaucoup aimé le personnage. Elle aime beaucoup cette ambiguïté, ces personnages un peu détestables, mais tout de même attachants. J’ai pensé à elle, à son phrasé, sa façon de parler en écrivant les dialogues.

Comment s’est passé la rencontre avec Nadine Labaki ?

Nadine Labaki, qui est libanaise et arabophone, est aussi réalisatrice et, grâce à elle, j’ai redécouvert un peu le cinéma arabe. Quand on l’a rencontré la première fois, elle était en pleine promo de son film «Capharnaüm». Elle était très occupée avec les Oscars et les Golden Globes. Elle avait aimé le projet, mais ne s'était pas encore positionnée à 100 %. Quand elle a eu le temps de se replonger dedans, c'est allé assez vite. C’était super de travailler avec elle et Fanny. Je prenais du plaisir à me rendre sur le plateau. Après, c’était beaucoup de pression. «Retour en Alexandrie» est mon premier long métrage et j’apprennais au fur et à mesure. Mais c’était un plaisir. Elles étaient très investies. Elles ont fait vraiment des efforts pour ressembler aux personnages que j'avais envie de véhiculer. Elles ont joué le jeu.

Quels sont tes futurs projets ?

TR : J'ai un projet qui est déjà à l'état de scénario, qui se déroulera également en Égypte. Une histoire ancrée dans une Égypte plus contemporaine. Quelque chose de moins nostalgique. Toujours des histoires de femmes exubérantes. J'ai grandi entouré plutôt par ce type de personnage, donc j’écris par rapport à mon expérience. Ce sera sur l'amitié, le deuil, et aussi un retour au pays. Pour moi, le cinéma,c'est quelque chose qui doit être habité par la personne qui le raconte. C’est vrai que les histoires d'appartenances, de sexualité et d'identité, ce sont des thèmes qui me touchent, qui me parlent. Après, j'ai un autre projet en Suisse qui sera plutôt en italien et en français, plutôt dans les années 60.

Tu as grandi un peu à travers le monde, est-ce que ta vision du cinéma en est impactée ?

TR : Plutôt ma vision du monde ! J’ai passé la majeure partie de ma vie à Zurich. Mes parents habitaient Kinshasa, mais sont venus à Zurich pour ma naissance. J’y ai passé presque toute mon enfance, mais on est ensuite retourné à Kinshasa. On est aussi parti deux ans en Autriche. J'ai beaucoup voyagé. Tu rencontres beaucoup de monde, tu as beaucoup d'histoires liées à une certaine époque, et après, tu passes à autre chose. Ça peut être très brutal pour un enfant, mais c’est aussi très enrichissant. Du coup, pour moi, l’Égypte, c’était toujours une espèce de référence, comme un phare. Je savais qu’en été, on allait partir là-bas. Il y a toujours un truc qui fait que je me sens à la maison.

«Retour en Alexandrie» est à découvrir au cinéma depuis le 31 janvier.

Bande-annonce de «Retour en Alexandrie»

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