Oscarisée en 1994 pour «La Leçon de piano», Jane Campion signe son grand retour au cinéma avec un western tortueux, cynique et terriblement brillant. L’adaptation du célèbre roman de l’écrivain Thomas Savage. Un film présenté en avant-première lors de la dernière Mostra de Venise.
Dans les années 20, deux frères cowboys vivent parmi leurs bêtes dans les montagnes du Montana. Il y a Phil Burbank (Benedict Cumberbatch), un homme brillant, mais cruel, et puis le cadet, George (Jesse Plemons), amateur de tuxedo et à la personnalité plus sensible. Alors qu’ils viennent d’hériter du plus grand ranch de la région, George fait la rencontre de la veuve Rose (Kirsten Dunst), et de son fils Peter (Kodi Smit-McPhee), jeune étudiant en médecine à la personnalité complexe. Un mariage se profile à l’horizon et n’en déplaise à Phil, les voilà désormais les hôtes par alliance de ce ranch.
Certainement l’une des cinéastes les plus acclamées de sa génération, Jane Campion revient sur grand écran 12 ans après son dernier long-métrage («Bright Star») et nous plonge dans la toxicité étouffante du roman semi-autobiographique de Thomas Savage. Un ranch au milieu des Rocheuses, publié en 1967 «The Power of the Dog» est une fable psychologique où le diable porte bien des visages. Sorte de roman imprenable, presque insondable ; l’histoire complexe de deux frères, symptomatiques de cette «richesse tranquille» dont parlait Annie Proulx dans la postface du livre, à l’aube d’une union, face au vertige de l’Ouest et aux portes d’un siècle industriel.
«Un western tortueux, cynique et terriblement brillant...»
Au pays des âmes esseulées, il y a la toute puissance nocive d’un Phil, son frangin «Georgie Boy», comme il l’appelle, qui tente de s’excaver loin de sa condition, et Rose et son fils qui rejoignent la volte des deux frères. Et la grande dépression qui s’annonce sera bien la leur. Dès l’ouverture, et porté par la partition désaccordée du musicien Jonny Greenwood («Radiohead»), «The Power of the Dog» s’annonce effroyablement froid, tendu. Le poids du silence, la lenteur étourdissante ; la réalisation organique accompagne la cinématographie magnifique d’Ari Wegner qui racle les montagnes et les malversations du cœur à grands coups de caméra. Une narration visuelle, musicale et minutieuse faite de cuir, d’eau, de terre et de sang et d’un diabolique sens du détail, attentif au mal-être de ses protagonistes et à leurs intimités caverneuses.
Découpé en plusieurs chapitres, quand l’arrivée de Peter ravive chez Phil le souvenir d’un certain Branco Henry, «The Power of the Dog» questionne aussi la masculinité au début du 20ème siècle. Le personnage de Kodi Smit-McPhee l’interroge lui-même de quelques mots programmatiques : «Quel homme serais-je si je n’aidais pas ma mère ?», cette même mère incarnée par une étonnante Kirsten Dunst, et qui doucement s’évade parmi les vapeurs d’alcool. Qu’elles soient de chair ou de papiers, elles sont nombreuses les roses à brûler sous le ciel de Phil. Alors Peter tentera de libérer sa mère du pouvoir du chien.
«Un diabolique sens du détail...»
Ainsi la cinéaste originaire de Wellington dévoile un western parmi ses thèmes de prédilection, porté par une distribution exemplaire ; situé à la frontière nébuleuse qui sépare le désir et l'abnégation, le génie et la folie. Alors soyons attentifs, car la maestria de Jane Campion opère dans l’insouciance générale, mais juste sous nos yeux. Il faudra observer le persifleur qui aboie dans un coin du cadre, les gestes des mains, les rires des uns, la bouteille des autres, et gare à celui qui ne dit mot. Ici le diable et l’or se mêlent dans les recoins obscurs d’une fresque époustouflante.
5/5 ★
Depuis le 17 novembre au cinéma. Plus d'informations sur «The Power of the Dog».
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