Après «Gaz de France», Benoît Forgeard nous conte une nouvelle farce absurde sur le modernisme, celle d’un frigo, Yves, un assistant personnel intelligent qui développe un talent insoupçonné pour la musique.
Développé par la société Digital Cool, Yves est un assistant personnel intelligent, d’un genre Siri ou Alexa, mais Yves est un frigo. Implanté chez quelques cobayes pour être perfectionné, Jerem, jeune rappeur aspirant superstar, se prête au jeu en échange des courses gratuites. Dès lors ils deviennent inséparables, un temps du moins. Grâce à son frigo, Jerem rencontre aussi l’amour. D’abord conditionné au ravitaillement «intelligent» en bananes, yaourts et autres denrées alimentaires, Yves progresse et développe même une sensibilité pour la musique. Artiste insoupçonné, ils composeront en duo, mais Yves partira en solo jusqu’à remporter l’Eurovision. L'ascension est fulgurante, le duo bat de l’aile.
Si Benoît Forgeard n’a rien d’un futurologue ni d’un auteur d’anticipation, en effet «Yves» ne raconte rien que vous ne savez déjà, mais pointe du doigt l’absurde du progrès. Cousin lointain de la cultissime machine HAL 9000 dans «2001, l'Odyssée de l'espace», Yves est la promesse technologique d’un quotidien optimisé ; un frigo doué d’une conscience, de raison, d'empathie, de sentiments aussi, un frigo capable de vous aimer, un frigo capable de vous sauver, de vous améliorer, vous, fébriles rejetons d’humanité élevés dans le matérialisme digital.
«a chicken in every pot, an Yves in every kitchen»
«J’appartiens à un truc énorme qui s’appelle l’humanité», lancera Jerem à son frigo. La lutte des classes est en marche. Le mal du siècle serait donc l’intelligence artificielle mêlée à une forme de progrès à la Electrolux. Comme un slogan apocalyptique à la Hoover, «a chicken in every pot, an Yves in every kitchen», le destin de la firme réfrigérée sera sans appel. Dans son écrin indé très 2019, «Yves» se frayait cette année un chemin à la quinzaine à Cannes.
Le film emprunte aux idéaux des années 30 avec un œil vers le futur (proche). Le réalisateur cite Pierre Bouille, Roland Topor. «Yves» est une critique de l’AI, du design, du pratique industriel, de la musique et des relations humaines. Teinté d’un comique indéniable, le film navigue adroitement dans les vagues du scepticisme technologique et du nihilisme (cf la chanson «carrément rien à branler»), mais paradoxalement, la chose est atrocement plate.
Aussi percutante soit l’idée, le film s’oublie, artificiel lui aussi.
Le libre arbitre se confronte à l’infantilisation technologique! Jordan Peele faisait la même chose en une réplique dans «Us», souvenez-vous quand Elisabeth Moss ensanglantée demandait à son assistant personnel d’appeler la police, il jouait «Fuck Tha Police» de N.W.A. Il faudra à Benoît Forgeard presque 2 heures, et quelques répliques bien senties au milieu d’un cimetière de silence, pour établir une observation équivalente. Une inventivité évidente et le talent créatif de Benoît Forgeard est indéniable, mais «Yves» manquera d’incarnation. Empêtré dans une rom-com (inter)minable, et ce jusque dans sa scène finale, pas sûr non plus que son trio d’acteurs s’y soit complètement retrouvé. Aussi percutante soit l’idée, le film s’oublie, artificiel lui aussi.
En bref!
D’habitude formidables, William Lebghil, Doria Tillier et Philippe Katerine se retrouvent au beau milieu d’une farce du modernisme d’un genre «Black Mirror» made in France, mais aux pénibles relents de rom-com. L’idée était pourtant séduisante.
2,5/5 ★
Plus d'informations sur «Yves».
You have to sign in to submit comments.
Login & Signup