Interview29. November 2023 Cineman Redaktion
Craig Gillespie sur «Dumb Money», «les utilisateurs de Reddit étaient les plus difficiles à convaincre»
Après le patinage artistique, place à la finance. Le cinéaste Craig Gillespie était cette année de passage au Festival de Zurich où il présentait «Dumb Money». Rencontre !
(Propos recueillis par Maria Engler et mis en forme par Théo Metais)
Après ses films «Moi, Tonya» et «Cruella», le réalisateur américain Craig Gillespie revient, dans «Dumb Money», sur un épisode qui a fait trembler Wall Street en 2021 : la fameuse affaire GameStop. Ce fut le David contre Goliath de la finance, au cœur d’une Amérique encore marquée par la crise financière de 2008, et bien décidée à en découdre avec les pontifes de la finance. Wall Street pensait faire plonger l’entreprise, mais c’était avant qu’un groupe de traders en herbe mette les marchés à genoux. Inspiré du livre «The Antisocial Network», «Dumb Money» nous raconte cette histoire rocambolesque.
De passage à Zurich en septembre dernier pour le festival, nous avons eu le privilège de nous entretenir avec Craig Gillespie, dont le fils, nous confie-t-il, lui permit de vivre cette affaire aux premières loges. «C'était pendant la COVID. J'ai deux fils. L'un d'eux vivait avec nous. Il a 24 ans et il travaillait pour le site Wallstreetbets. Un jour, il descend les escaliers et dit : «Hey, Elon Musk vient de tweeter sur GameStop».»
En 2021, l’entreprise de distribution de jeux vidéo GameStop, cotée à la Bourse de New York, n’a pas bonne mine et la tendance pourrait profiter à des fonds spéculatifs qui vendent «à découvert» des actions dans l’espoir de les racheter plus tard, à bas prix. En d’autres termes, c’est un pari contre l’entreprise, du «short selling» («vente à découvert» en français) dans le jargon de la finance, une manœuvre courante qui profite généralement à l’investisseur lorsqu’une action diminue.
«Les réseaux sociaux s’étaient emballé au sujet des ventes «à découvert» et la manière dont les fonds spéculatifs essayaient de faire baisser l'action. Ce groupe s'est réuni pour la faire monter et il n'a cessé de grandir. Il est passé de 400 000 à 8 millions en l'espace de huit semaines. Mon fils a suivi toute cette aventure. Il a commencé avec quelques centaines de dollars et a commencé à investir et à réinvestir. (...) Il se levait à 6 heures du matin puis vérifiait toutes les 3 minutes pour savoir quand il devait vendre.»
Et d’ajouter «Je pense que la COVID a joué un rôle important dans cet emballement. Entre la perte d'êtres chers, la perte d'emplois, le manque d'aide gouvernementale et l'aliénation, il me semble que le seul moyen de se reconnecter était internet. La COVID est venue catalyser ces voix qui se sont rassemblées en ligne pour exprimer leur frustration.»
Cette communauté de boursicoteurs amateurs a surgi des limbes de Reddit (l’un des sites les plus populaires aux États-Unis), et s’est mise en effet à investir massivement dans les actions GameStop pour plomber la stratégie des fonds d’investissement. Et tenez-vous bien, le grand perdant dans cette affaire, c’est le fond Melvin Capital qui, voyant les actions grimper, a été contraint de racheter ses actions plus chères, accumulant au passage des pertes colossales.
«J'ai partagé ce stress émotionnel avec mon fils. Il me montrait des mèmes en permanence pour me dire ce qu'il se passait sur Wallstreetbets. Il a vendu à temps, car le lendemain, RobinHood (une application populaire de courtage, ndlr) a gelé les transactions et il est venu nous parler de l'indignation, de la colère et de la frustration qui régnaient en ligne et aussi du sentiment réel que le système avait été truqué.»
Une communauté en ligne à laquelle le cinéaste fait une révérence, et dont il salue le parcours. «Honnêtement, les utilisateurs de Reddit étaient les plus difficiles à convaincre (rires)». Une exigence devant laquelle il s’est incliné «Nous voulions vraiment être authentiques et montrer ces gens-là dans toute leur candeur. Je ne pense pas que nous pouvions nous y soustraire. Mon fils a été une véritable pierre angulaire. J'aime beaucoup montrer mes films à mes amis et à ma famille pendant que je travaille. Au bout de trois semaines, je leur ai demandé d'amener un groupe d'amis. Ils ont amené une vingtaine de personnes et ils ont tous regardé le film. C’était extrêmement enrichissant d’entendre les retours de cette communauté. Il y a eu des changements après ça.»
À la tête de cette fameuse communauté d’internautes, il y a l’analyste et youtuber Keith Gill incarné par le formidable Paul Dano dans le film. «J'ai eu une excellente conversation avec Paul et puis il a signé», nous raconte le cinéaste. «C'est un acteur si brillant et si nuancé, et il est s'y est préparé à sa manière. Il a notamment regardé tous les posts de Keith Gill et a vraiment été le garant de toute cette masse d'informations».
Pour lui répondre, l’explosif Pete Davidson dont la spontanéité n’a pas manqué d’enthousiasmer le réalisateur. «J'étais très enthousiaste à l'idée de les faire jouer ensemble et d’observer les différentes énergies et les différentes façons qu’ils ont d’aborder leur travail. J'étais fasciné à l'idée de voir comment cela évoluerait sur le plateau. Paul est quelqu’un de très préparé et avec Pete, vous n'êtes pas sûr de ce que vous allez obtenir. Il a en réalité une manière très significative d’improviser à l’intérieur de son personnage. C’était très intéressant».
Un film qu’il faudra, sur recommandation de Craig Gillespie, mettre à côté de «Moneyball». «Souvent, les films sur Wall Street sont tournés de l'intérieur. Là, il s'agit d'un point de vue extérieur, comme dans «Moneyball», où un outsider essaie de briser le système». Interrogé sur la complexe vulgarisation de la finance pour le public, le cinéaste souligne l’excellent travail des scénaristes Lauren Schuker Blum et Rebecca Angelo. «Elles ont fait un travail magnifique pour distiller ce sujet si complexe tout en suivant de manière très précise une telle galerie de personnages».
Enfin, Craig Gillespie nous a rappelé l’importance des émotions pour faire vivre de telles épopées sur grand écran. «Vous savez, on n’a pas besoin de savoir comment Apollo 13 a atterri réellement sur terre (référence au film de Ron Howard de 1995, ndlr), pour être emporté dans l’histoire. Je pense que l'on peut citer d’autres films, comme «Un homme d'exception», qui traitent à la fois de sujets très complexes et qui arrive aussi à emporter le public dans un grand voyage émotionnel».
«Dumb Money» est à découvrir au cinéma à partir du 29 novembre.
Bande-annonce de «Dumb Money»
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