Critique12. Februar 2019 Lino Cassinat
«A Bright Light – Karen and the Process» - Oraison funèbre, élégie lumineuse
Aussi fascinante qu’étrange et mystérieuse, Karen Dalton fut une musicienne de country folk fabuleusement douée des années 60, qui a notoirement fortement impressionné Bob Dylan entre autres. Pourtant, elle n’a eu qu’une carrière minuscule et oubliée, avant de mourir 20 ans après dans l’indifférence générale. La documentariste Emmanuelle Antille tente de la faire revivre.
Oubliez tout ce que vous pouvez vous figurer sur le documentaire consacré à une idole musicale. Emmanuelle Antille n’a pas pour vocation à faire l’hagiographie béate ni la biographie mode d’emploi de Karen Dalton, chanteuse-guitariste folk des années 60, fabuleusement douée (au point de marquer rien de moins que Bob Dylan lui-même), à la carrière avortée et totalement tombée dans les limbes. Sa passion dévorante, elle la livre à travers un film qui, à bien des égards, a des allures de rite funéraire enfiévré autant que de journal intime secret.
A Bright Light est un carrefour foisonnant d’idées, un fatras organisé aussi beau que généreux, libre et imprévisible. Protéiforme et insaisissable, la forme épouse à merveille les contours de l’essence de l’être qu’elle cherche à saisir, alternant les supports (pellicules, numérique haute définition, archives, écrans filmés et numérique parasité de bruit et de grain); comme on chercherait à l’aveugle un signal radio, tâtonnant dans les ténèbres à la recherche d’un signal sensoriel perdu à jamais, celui d’une âme disparue vouée à rester une énigme.
La dernière évocation d’un défunt après sa mort, presque liturgique...
Emmanuelle Antille affirme au début du film qu’il n’est pas dans son projet de faire apparaître un fantôme, et de cela il ne sera effectivement nullement question. On serait plutôt tenté de voir A Bright Light comme la dernière évocation d’un défunt après sa mort, presque liturgique, une dernière réactivation d’un souvenir tendre et douloureux, celui d’une quasi âme soeur.
En témoignent les nombreuses mises en scène que la réalisatrice nous gratifie de sa personne et de ses amies, les nombreux colifichets collectés au cours de leur road-trip américain comme autant de totems, les questionnements qui traversent la narratrice, qui se demande plus comment riait un être humain au lieu de faire du sensationnalisme autour de l’histoire d’une idole qui ne manque pas de tragique.
Pour autant, aussi abstrait que soit A Bright Light, il traîne un déroulé linéaire chronologique et des entretiens patauds comme des ancres qui l’empêchent de totalement se projeter dans l’éther et d’atteindre les sommets stratosphériques d’abstraction qu’ont pu sillonner Ben Rivers et Ben Russell avec leur Un sort pour éloigner les ténèbres par exemple. C’est dans ses moments les plus classiques (malheureusement trop nombreux) que A Bright Light brouille son propre signal, perd son cap de vue pour retomber dans une matérialité trop peu délicate pour manipuler avec la finesse requise le fin voile et le derme épais qui séparent les présents des absents.
En bref !
Libre, atypique et imprévisible, A Bright Light n’épouse pourtant pas totalement ce qu’il est (ou ce qu’on voudrait qu’il soit). Malheureusement, ses pas de côtés l’entraînent parfois vers de légers poncifs.
3/5 ★
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