Critique13. Juni 2024 Cineman Redaktion
Annecy 24: «La Plus Précieuse des Marchandises» de Michel Hazanavicius, au bout des rails, bat un cœur
Conte animé relatant l’adoption extraordinaire d’une petite fille par un pauvre couple de bûcherons sur fond de Shoah, «La Plus Précieuse des Marchandises» est un récit lumineux d’espoir, de solidarité et d’amour.
(Un texte de Laurine Chiarini, depuis le Festival d’animation d’Annecy)
Dans les bois, vivaient une fois un pauvre bûcheron et une pauvre bûcheronne. À côté des wagons qui, chaque jour, traversent la forêt, la bûcheronne prie les dieux du train de lui offrir une marchandise, même une toute petite. Un bébé est jeté d’un wagon: son vœu est exaucé. Dans le froid et la misère de la guerre, la «petite marchandise» et sa nouvelle famille affrontent le pire de la noirceur humaine. Aux tournants de l’histoire, là où esprits et destins se croisent, au gré des rencontres humaines, ce conte brille dans la nuit, petite lueur d’espoir à la flamme vacillante qu’aucun souffle ne peut éteindre.
Reparti les mains vides de Cannes, où il était projeté en compétition officielle, «La Plus Précieuse des Marchandises», qui a eu droit à une longue ovation debout et a ému des salles archicombles à Annecy, repartira-t-il avec une récompense? Sous des coups de crayons au minimalisme amplifié, la force du film réside dans son côté intemporel et brillamment universel. S’éloignant des classiques, libéré aux entournures, ce conte est celui d’une histoire de beauté qui, au milieu de l’horreur, peut encore exister. Alors que s’éteignent petit à petit les derniers survivants de l’holocauste et leurs témoignages, comment continuer à raconter ? Le choix des images animées, contrairement à des prises de vue réelles, trouve la juste voie entre sujet et audience, faisant du spectateur et de son imagination un rouage actif de la narration.
Dernier film auquel le grand Jean-Louis Trintignant a prêté sa voix de narrateur avant la fin de sa vie, l’univers visuel du film, qui se déroule en Pologne, jamais nommément citée, mais rapidement devinée, rappelle celui de la nature et des bois de bouleaux qui peuplent les campagnes de l’est. Le directeur artistique s’est inspiré des dessins d’Ivan Bilibine, artiste russe connu pour ses illustrations de contes folkloriques. Élément central dans la déportation des Juifs et personnage à part entière, le train est aussi celui par qui arrive l’inespérée «petite marchandise». Des années plus tard, c’est en train que celui qui, dans un acte de foi, avait désespérément tenté le tout pour le tout en jetant sa petite fille par la fenêtre d’un convoi pour la sauver des camps de la mort, revient en Pologne.
Porté par une voix profonde et humaniste, le film n’élude pas les horreurs, mais choisit de mettre en lumière le bien, ce que l’homme, respectivement ici la femme, ont de meilleur. Choisir le dessin, c’est aussi jouer avec la fluidité des lignes, tour à tour fixes ou animées. Les scènes les plus dures, celles où sont brûlés les corps décharnés, où les visages, figés dans une horreur béante, fixent le néant – et nous, spectateurs, en même temps – dépeintes sous des traits immobiles en noir et blanc, étendent plus loin encore le registre émotionnel, dans un silence fracassant.
«Les sans-cœurs ont un cœur», dit la bûcheronne, puis le bûcheron, dénominateur commun qui relie chaque être humain. S’il ne fallait voir qu’un film sur l’holocauste et que les presque 10 heures du documentaire «Shoah» de Claude Lanzmann vous rebutent, courez voir «La Plus Précieuse des Marchandises».
4,5/5 ★
Pas encore de date de sortie
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Bande-annonce de «La Plus Précieuse des Marchandises»
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