Article17. Juli 2023 Emma Raposo
«Barbie», «Air», «Tetris», quand les marques s’érigent en stars des films
Alors que le très attendu «Barbie», avec Margot Robbie et Ryan Gosling, s’apprête à débouler dans les salles, on se penche sur le phénomène de ces marques qui deviennent les stars au cinéma. Décryptage!
Au commencement, il y avait Facebook
En 2010 sortait «The Social Network», racontant la genèse d’une plateforme sociale qui allait bouleverser notre façon de communiquer, d’informer, et de se connecter, et qui allait ouvrir la voie au monde des réseaux sociaux tel qu’on le connaît aujourd’hui. Le film de David Fincher revenait sur un pan de l’histoire de la technologie, la création d’une marque qui a révolutionné son monde à l’ère Y2k.
13 ans plus tard, une tendance semble se dessiner. À l’instar de Facebook, les marques ne sont plus seulement des produits que l’on place dans les films, comme Robert Zemeckis nous en faisait une démonstration magistrale en 2000 avec «Seul au monde». En 2023, les marques sont les films, et les personnages y occupent les seconds rôles. «Air» n’est pas un biopic sur Michael Jordan, vous n’y verrez d’ailleurs jamais le visage du sportif, pas plus que «The Social Network» n’était un biopic sur Mark Zuckerberg. Loin de là.
Héritage ou évolution logique d’un cinéma grand public dans une société ultra-capitaliste, pitcher une idée de film sur les célèbres baskets inspirées par le plus brillant des basketteurs à un parterre de producteurs est logiquement plus simple que d’essayer de vendre un biopic sur un sculpteur polonais reclus dans sa cabane, aussi talentueux soit le sculpteur. Mais cette tendance est-elle juste un effet de mode, ou assistons-nous réellement à un modèle pérenne dans lequel les marques jouent les premiers rôles?
Ces marques qui ont changé le « game »
Dans les années 80, l’ingénieur Alekseï Pajitnov mettait au point Tetris. Le jeu deviendra ce que l’on connaît, un succès planétaire sans égal. «Tetris» le film (sorti en mars dernier sur Apple TV+) raconte la bataille entourant l’acquisition des droits mondiaux du jeu sur les différents appareils - ordinateurs, consoles et arcades de jeu-, dans l’univers très fermé du communisme de l’Union Soviétique. Le Blackberry, avant les iPhone et autres Samsung, devenait dans les années 90, le premier smartphone, précurseur d’une déferlante technologique. Présenté en février au Festival de Berlin, le film de Matt Johnson narre l’ascension puis la chute du premier ordinateur sur pattes.
Les Air Jordan, quant à elles, coup de poker de Nike qui, dans les années 80, était la marque mal-aimée derrière Adidas et Converse, allaient devenir l’emblème d’une révolution, d’abord celle d’un sportif de légende, puis du marketing sportif global, imposant Nike comme une référence. Grâce à l’insistance de sa mère auprès de la marque, Michael Jordan deviendra le premier sportif à toucher un pourcentage sur chaque paire de baskets estampillée Jordan vendue dans le monde. Le cas Jordan créera un bouleversement sans précédent, changeant à jamais la face du marketing sportif.
Ces marques et objets n’ont pas seulement marqué de leur empreinte une période et une génération, mais sont entrés dans la culture pop, racontant chacun à leur façon un moment de l’histoire, le contexte d’une époque donnée, et révolutionnant au passage leur domaine respectif. Une mine d’or pour les studios de production qui n’ont qu’à évoquer le nom de ces marques pour raviver dans les esprits un imaginaire très familier. Pas besoin d’aller chercher bien loin, les titres des films sont tout trouvés: «Tetris», «Barbie», ou «Air», la simple évocation du nom du jouet ou de la basket suffit à planter le décor, et remémorer les souvenirs d’autrefois.
La carte de la nostalgie
Tout un imaginaire et plus encore. Car ces mêmes marques évoquent surtout une époque bien précise pour toute une génération attachée émotionnellement à des objets, des musiques et des ambiances de leur enfance ou adolescence. En l’occurrence, les années 80-90 pour Tetris, BlackBerry ou les Air Jordan. Remises au goût du jour par la série Netflix «Stranger Things», avec toute la panoplie d’accessoires, de tenues vestimentaires et de playlists qui vont avec, les années 80 sont redevenues tendance.
Demandez à la chanteuse Kate Bush. Son titre de 1985 « Running Up That Hill (A Deal With God) » a connu un regain de popularité inattendu grâce à la série, et c’est toute une génération d’ados et jeunes adultes qui dansent sur TikTok au son de la voix de Bush. Cette même génération Z qui s’affiche Air Jordan aux pieds, et a repopularisé les pompes que portaient leurs parents 40 ans plus tôt.
Une solide «fanbase»
On l’aura compris, miser sur un projet de film traitant de ces marques emblématiques, c'est déjà s’assurer une fanbase non négligeable. C’est toucher émotionnellement les enfants et ados qui sommeillent en chacun et chacune, et avec un peu de chance, gagner le cœur des générations d’après. Douce mélodie aux oreilles des producteurs pour qui la prise de risque est donc très mesurée, car, disons-le plus simplement, la moitié du job est faite en se garantissant d’emblée une clientèle, celle qui a vu naître les Air Jordan, ou joué des heures à Tetris sur GameBoy.
À titre d’exemple, «Air» a engrangé quelque 90 millions de dollars à travers le monde, et a dépassé les estimations sur sols américain et canadien en atteignant plus de 20 millions de dollars de recettes les 5 premiers jours de diffusion dans les cinémas, le plaçant à la 3ème place du box-office américain. L’année 2023 a peut-être véritablement lancé le coup d’envoi d’une tendance qui n’est probablement pas prête de s’essouffler, car, bonne ou mauvaise nouvelle, l’avenir nous le dira, le groupe Mattel a fait savoir qu’il avait dans les tuyaux pas moins de 45 projets de films axés sur ses jouets phares, tels que les voitures Hot Wheels ou les Polly Pocket. De quoi imaginer un champ des possibles cinématographique sans limites.
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