Critique23. Februar 2023 Theo Metais
Berlinale 2023 : «Seneca» - John Malkovich incarne un Sénèque fantasque et lunaire
Il compte parmi les réalisateurs les plus éclectiques de sa génération. Et à l’occasion de cette 73e Berlinale, «Seneca – On the Creation of Earthquakes» de Robert Schwentke, a offert, hors compétition, une leçon de philosophie venue d’un autre temps.
À Rome, en l'an 65 av. J.-C, Sénèque (John Malkovich) a survécu à l’exil, et s’occupe aujourd’hui de l’éducation de Néron (Tom Xander). Conseiller, coach de vie ; Sénèque et Néron sont très proches, mais cette proximité n’est pas toujours du goût du jeune Empereur. Et alors qu’il soupçonne son précepteur d’être à l’origine d’une conspiration, Néron ordonne à Sénèque de mettre fin à ses jours.
Un scénario écrit pour John Malkovich. Sans son approbation, confie Robert Schwentke, il n’y aurait jamais eu de film. Réalisateur de «Tatoo» en 2002, du blockbuster «RED» en 2010 ou encore du satirique «Der Hauptmann» (2017), voilà que le cinéaste allemand nous embarque dans un voyage inattendu, fait de sable, de sang, de philosophie, de théâtres antiques (tournés dans les montagnes du Maroc) et d’anachronismes. Et bientôt, le public de Berlin ne sait plus sur quel pied philosopher.
En ouverture, Sénèque enseigne, non sans drame, l’art de la rhétorique à Néron (un impétueux Tom Xander). Dès lors, le verbe du stoïcien ne cessera de filer. John Malkovich disperse ses enseignements sur la nature, la vie et la vertu à «un enfant avec trop de pouvoir» dira-t-il plus tard. Un amateur de lutte qui s’éveille à la vue du sang et responsable du meurtre de sa mère Agrippine à coups de pierres. Sa bouille de chérubin nous aurait presque trompé, l’homme est loin d’être un Saint et manifeste ce que l’histoire de Rome a de plus répugnant.
Voilà l’élève bien étrange duquel Sénèque devrait extraire un Empereur et qui répond du nom de «Mr. President». Robert Schwentke choisi ce terme pour donner à son récit une portée contemporaine. Un film inspiré de Pier Paolo Pasolini et son «Œdipe roi» (1967), qui ouvre la voie à ce que le réalisateur appelle «un anachronisme agressif». En effet, des plastrons d’or prennent la forme de guitares électriques, et Néron semble avoir piqué les lunettes bleues de Bono. De quoi chatouiller les inconditionnel.les du théâtre grec antique, et pourtant, les accessoires permettent d’introduire une ironie plus subtile et propre à Sénèque.
Jusqu’à son suicide ordonné par Néron - une scène diaboliquement explicite et responsable de malaises à Berlin - Sénèque n’aura eu de cesse de prôner la vertu morale et l’émancipation des biens matériels. Une philosophie qui se traduit dans les choix des costumes ou le linge beige de Sénèque contraste avec l’extravagance édulcorée de ses hôtes. Or, il est lui-même l’une des personnalités les plus aisées de Rome, et s’est enrichi d’avoir servi un tyran notoire. D’ailleurs, à l’approche de la mort, le stoïcien n’est plus tellement désintéressé et s’abreuve de sa propre légende. Voilà le philosophe battu, et à grands coups d’anachronisme, Robert Schwentke martèle une grande farce expérimentale inspirée du cinéma des années 60/70 sur les élites de notre temps.
4/5 ★
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