Critique6. Mai 2024 Theo Metais
Critique de «Averroès et Rosa Parks», un peu de love et de tendresse
Il avait raflé l’Ours d’or en 2023. Nicolas Philibert était de retour au festival de Berlin en février dernier avec son nouveau documentaire. Moins élogieux que son aîné, «Averroès et Rosa Parks» en est d’autant plus précieux.
Nous l’avions laissé en 2023 sur les berges tranquilles des quais de Seine, à Paris, où flotte un centre de jour du nom de l’Adamant. Il prêtait l’oreille aux confessions poignantes, solaires et poétiques de ses occupants. Pour «Averroès et Rosa Parks», Nicolas Philibert s’est déplacé à quelques encablures, sur les bords de Marne et de l’autoroute A4, dans l’ancien asile de Charenton, aujourd'hui appelé l’Hôpital Esquirol. Changement de décor et de ton pour une guirlande caustique d’entretiens individuels entre patients et personnels soignants.
En fin de séance, en 2023 à Berlin, nous avions quitté la salle émus, estomaqués, flottants, rêveurs et heureux comme Lazzaro. “Les troubles psychiques se mêlent à la poésie de l’art brut et de la pensée surréaliste” avions-nous d’ailleurs écrit, conscients aussi que «Sur l’Adamant» n’avait en rien l’ambition de dépeindre l’entière complexité du monde psychiatrique de France et de Navarre. Entre ces deux documentaires, il n’y a qu’un pas. Les deux films se répondent l’un l’autre et l’on y reconnaît même des visages, l’auteur de la reprise foudroyante de «La Bombe humaine» notamment, ou encore Olivier (ci-dessous sur la photo), qui, souvenez-vous, partageait son enthousiasme à l’idée d’une promenade avec ses filles pendant un atelier.
«Tout est affaire de décor» affirmait Louis Aragon. Une chose est certaine, l’unité «Averroès et Rosa Parks» de l’Hôpital Esquirol n’a plus rien d’une retraite bucolique en bord de Seine et prolonge presque une réflexion entamée en 1967 par Frederick Wiseman dans «Titicut Follies». Une parole en hors-champ nous rappelle que ces hôpitaux ont d’ailleurs été construits sur le même plan que les lycées et les prisons.
Nettement plus frontal et critique que «Sur L’Adamant», «Averroès et Rosa Parks» évoque les angoisses abyssales des patient.e.s, la soumission aux médicaments, le poids psychologique de l’institution, et le manque de tendresse au sein dudit «paradoxe de l’hôpital» évoqué par un médecin : c’est un lieu de soins et non un lieu d’affection. Gare aux demandes de câlins, ici le silence est d’or et renvoie à l’imperméabilité de l’hôpital face au manque d’amour de ses hôtes.
Champ-contrechamp, durant la captation des entretiens soignants-patients, le dispositif est minimaliste, réduit, à hauteur de l’humain pour créer ce climat de confiance nécessaire entre le sujet et celles et ceux qui l’écoutent. Les paroles fusent et évoquent le «besoin d’entendre parler d’autre chose» de «respirer» en dehors de l’hôpital, de «racheter sa dette morale à la société», et font parfois le douloureux décompte du temps passé en psychiatrie «3 mois et demi, c'est long».
Drôles, bouleversants, philosophiques, religieux, cryptiques, métaphysiques, hallucinés et hallucinants, Nicolas Philibert et Pauline Pénichout recueillent autant de témoignages que d'interrogations cristallisées dans un nid, certes, au ban de la société, mais qui a valeur de refuge pour beaucoup. Second chapitre de ce qui pourrait éventuellement devenir un fabuleux triptyque, au pays des êtres de verre, «Averroès et Rosa Parks» n’a laissé personne de marbre. Et une question de rester en suspens… «Se soigner, ça veut dire quoi?».
4,5/5 ★
Plus d'informations sur «Averroès et Rosa Parks».
Bande-annonce de «Averroès et Rosa Parks»
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