Critique20. Februar 2024 Theo Metais
Berlinale 2024 : «Dahomey» de Mati Diop, ou la restitution onirique du Trésor de Béhanzin
Ours d'or de la 74ᵉ Berlinale, avec «Dahomey» la cinéaste Mati Diop dévoile un très beau documentaire sur la restitution du patrimoine africain. Un film qui, avec force et onirisme, pose aussi la question des enjeux du cinéma contemporain.
Elles sont au nombre de 26. À leur arrivée, le quotidien béninois La Nation a titré «Historique!». En novembre 2021, un accord est signé entre la France et le Bénin pour la rétrocession d’œuvres culturelles pillées en 1892 par les troupes coloniales françaises à Abomey. Elles étaient depuis conservées au musée du Quai-Branly à Paris. Leur retour est un évènement.
En 2016, la république du Bénin présente une demande officielle pour la restitution des trésors royaux d'Abomey. L’examen de cette requête est toutefois confronté au principe d'inaliénabilité des collections nationales, un principe censé garantir la protection du patrimoine muséal français. Fruit d’un long et complexe détricotage administratif, en 2021 et sous la houlette d’Emmanuel Macron, les statues royales des rois Ghézo (homme-oiseau), Glélé (homme-lion), et Béhanzin (homme-requin) et bien d’autres, retrouvent leur terre, 130 ans après avoir été déracinées.
Mati Diop s’est invitée à cette épineuse messe culturelle et politique. De Paris à Cotonou, la cinéaste franco-sélégalaise de 41 ans revient sur la violence des vols de l’époque coloniale et l’importance de leurs restitutions. «26, juste 26», «Reconnaîtrai-je quelque chose, me reconnaitra-t-on?», d’une voix caverneuse à faire trembler les murs, et qui s’exprime en fon (langue du Bénin), la statue anthropomorphe du roi Ghézo pense, rêve. Dans la collection du Quai-Branly, elle n’est qu’un numéro, et elle nous partage aujourd'hui son aliénation, sa fragilité, ses frayeurs ancestrales. Des envolées oniriques qui paraphent un documentaire composé comme un essai visuel au sein d’une passionnante étude sur les restitutions postcoloniales.
26 œuvres restituées sur 7000, et une fois rentrés, les objets de culte, deviennent des objets d’art. Aussi, à peine ont-ils foulé le sol que les étudiant.e.s de l’université d'Abomey-Calavi s’écharpent sur les véritables intentions d’Emmanuel Macron (à quelques mois de sa réélection) et sur celles de Patrice Talon, président du Bénin. Grand Prix du Jury à Cannes avec le crépusculaire «Atlantique» en 2019, la réalisatrice récidive. Sans angélisme, «Dahomey» est une œuvre magistrale qui réhumanise cet héritage et sa portée pour le Bénin, mais qui n’épargne aucune des interrogations inhérentes à la joute politique de son retour. En compétition à Berlin cette année aux côtés du confinement nombriliste d’Olivier Assayas et du space-opéra de Bruno Dumont, Mati Diop prend le 7e art à bras-le-corps. «Dahomey» envoûte, fascine, interroge.
5/5 ★
Plus d'informations sur la 74e édition Berlinale
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