Critique21. März 2024

«Les Paradis de Diane», de l’obligation d’être une mère

«Les Paradis de Diane», de l’obligation d’être une mère
© 2:1 Film

C’était l’un des films suisses les plus attendus de la 74e Berlinale. Jan Gassmann et Carmen Jaquier donnent vie à une histoire d’émancipation portée par une Dorothée de Koon crépusculaire. Une belle surprise !

Au cœur de la nuit, une jeune femme saute dans bus, direction n’importe où. Elle s’appelle Diane (Dorothée de Koon) et vient tout juste de donner naissance à son premier enfant. Fuyant la maternité et son conjoint, paré d’un fin manteau et d’une maigre guenille d’hôpital, elle entame un périlleux voyage introspectif. Au petit matin, elle se réveille dans une station balnéaire en Espagne. Son corps la ramène inlassablement à l’enfant qu’elle vient de mettre au monde et bientôt, au gré de ses déambulations, elle fait la rencontre de Rose (Aurore Clément). Deux âmes esseulées qui doucement s’apprivoisent.

Au travers de leurs projets individuels («Foudre», «99 Moons», ou encore «Europe, she loves»), Carmen Jaquier et Jan Gassmann ont entamé des démarches d’exploration aux côtés des femmes pour sonder l’éveil et le poids de la sexualité. Présenté cette année dans la prestigieuse sélection Panorama à Berlin, «Les Paradis de Diane» devient cet estuaire à partir duquel la cinématographie des deux personnalités suisses non seulement se rencontre, mais plonge dans le grand bain des troubles postnataux. Si aujourd’hui la parole se libère, le scénario ne manquera pas de faire grincer les dents, et si l’émail éclate, voilà peut-être l’énième symptôme de la pression sociale sur les femmes, qui, presque par définition, devraient accepter leur rôle de mère.

Berlinale 2024 : «Les Paradis de Diane», de l’obligation d’être une mère
Rosa Uceda et Dorothée de Koon dans «Les Paradis de Diane» © 2:1 Film

Au diapason de son personnage, la musicienne Dorothée de Koon se retrouve ici en terre inconnue dans son premier rôle principal. L’artiste est presque de tous les plans et donne magnifiquement vie à cette femme en cavale alors qu’en Suisse, les sirènes aboient et lui implorent de revenir. Stratégie de l’épure, les dialogues sont minces et soulignent le gigantisme des non-dits. Jan Gassmann et Carmen Jaquier filment le corps, ses mutations et le vague à l’âme qui surgit dans leur sillage. Au chaud des partitions languissantes et jazzéiformes de Marcel Vaid, les pérégrinations de Diane trouveront même des envolées de film noir.

«Ce qui est fait ne peut être défait», entendra-t-on au détour d’une promenade sur la plage. Les mots sont prononcés par l’emblématique actrice Aurore Clément («Apocalypse Now», «Paris, Texas») à qui le duo offre un rôle de confidente à l’orée du mystique. Et pour boucler la boucle complexe de ces deux femmes, Carmen Jaquier et Jan Gassmann invoquent le lyrisme et les «paysages intérieurs» d’Agnes Varda. Étude anémique, nocturne, sexuée, hypnotique, apeurée, muette, abrupte et finalement touchante dans sa non-résolution, «Les Paradis de Diane» est de ces films rares qui, au-delà de l’expérience cinématographique, questionnent et chahutent les mœurs. D’ailleurs, au tombé de rideau à Berlin, la salle s’est vidée sous les murmures discrets de quelques querelles de circonstances.

4/5 ★

Au cinéma le 20 mars en Suisse romande.

Plus d'informations sur «Les Paradis de Diane»

Bande-annonce de «Les Paradis de Diane»

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