News29. Mai 2019 Lino Cassinat
Cannes 2019 : Quentin Dupieux et Jean Dujardin dans une farce absurde et 100 % daim
Si Quentin Dupieux jouit de l’image d’empereur du WTF, cela fait quelques films qu’on ne rigole plus vraiment de la même manière. Derrière les logiques ineptes de ses farces se dessine, depuis « Réalité » et « Au Poste », une angoisse ténue et labyrinthique, et la folie douce de ses deux derniers films laissaient place, dans leurs fins respectives, à une folie plus dure. « Le Daim » propose d’aller encore plus loin dans le rire crispé en organisant un angoissant télescopage entre « Barton Fink » et « Henry », portrait d’un serial killer mais tendance snuff movie.
Georges, un type 100 % normal, développe une obsession anormale pour une veste 100 % daim. Malgré la présence de nombreuses scènes comiques absurdes, dont seul Quentin Dupieux a le secret, le réalisateur se met en effet véritablement en danger cette fois et pourrait perdre définitivement la partie de son public qui est restée sur les joyeux Rubber ou Steak.
L’absurde déployé par Le Daim est en effet cette fois-ci plus grinçant que jamais, et la flamboyance naturelle de Jean Dujardin ne fait qu’amplifier encore l’état de trouble et de malaise que procure le film à mesure que son personnage s’enfonce dans les méandres de son esprit dérangé face à une flegmatique Adèle Haenel. Les deux forment un duo aussi inspiré que décalé, voire franchement fêlé.
Une logique aussi inepte qu’imparable pour quiconque de normal...
Car il est bien question de folie ici, la vraie. Autant celle, traumatisante, de la déviance psychopathe, que celle, plus naïve, qui pousse à remonter Pulp Fiction dans l’ordre chronologique des événements. Le Daim surprend en radiographiant la psyché d’un fou, et en relatant avec précision son expérience du monde, d’une logique aussi inepte qu’imparable pour quiconque de normal. Par ricochet, c’est aussi probablement le film qui exprime le mieux l’obsession de Quentin Dupieux : la logique n’est qu’une construction humaine, et la réalité n'est qu’un consensus ordonné par l’esprit humain et retournable comme un gant.
Aussi « Dupieusien » que soit le film, Quentin Dupieux en est également sa limite la plus évidente. Que ce soit par peur d’embrasser trop profondément l’abysse, ou par orgueil mal placé de petit malin, il se refuse constamment à prendre véritablement son univers au sérieux, de considérer qu’au fond, peut-être que tout cela n’est pas tant une blague que cela. Son traitement uniquement gaguesque de la violence en est l’exemple le plus frustrant. Alors qu’il touche régulièrement l’indicible du doigt, comme de peur de se brûler, le film fait un entrechat de côté. Frustrant, mais annonciateur d’un fabuleux brasier si un jour, souhaitable, Quentin Dupieux fait enfin un film avec plus que la simple envie de piéger son public.
En bref !
Le Daim est un film brillamment déroutant, probablement le plus particulier et unique de son auteur, mais qui se prend un peu à son propre piège.
3,5/5 ★
Au cinéma le 10 juillet 2019. Plus d'informations sur Le Daim.
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