Interview28. Mai 2024

Lukas Dhont sur la Queer Palm: «Un film queer ose changer les codes, casser les normes et les frontières»

Lukas Dhont sur la Queer Palm: «Un film queer ose changer les codes, casser les normes et les frontières»
© Mayli Sterkendries

Le réalisateur était président du jury de la Queer Palm au dernier Festival de Cannes. Entre deux films, il est revenu avec nous sur son parcours et ses premières envies de cinéma.

(Propos recueillis et mis en forme par Marine Guillain.)

Caméra d’or et Queer Palm avec «Girl» en 2018, membre du jury Un Certain Regard en 2019 puis Grand prix en 2022 avec «Close»: entre Lukas Dhont et le Festival de Cannes, c’est du sérieux! Actuellement en pleine écriture de son troisième long métrage, qu’il prévoit de tourner à l’été 2025, le cinéaste belge de 32 ans était à nouveau sur la Croisette pour présider le jury de la Queer Palm. «Au jour 7, la combinaison des films et des fêtes commence à se faire sentir!» a-t-il lancé en souriant lorsqu’il nous a rejoint sur une plage du festival pour notre interview. «Mais c’est génial de pouvoir voir des films de toutes les sélections, ça donne un aperçu encore plus large de la diversité de la programmation, c’est très riche.»

Au total, le président et son jury ont visionné dix-sept longs et cinq courts. Ils ont décerné le prix du court métrage au film suisse «Las novias del sur», d’Elena Lopez Riera, tandis que la Queer Palm du long métrage a été attribuée à «Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde», du Roumain Emanuel Parvu. Le premier crée un pont entre le présent et le passé à travers les récits de femmes d’âge mûr, qui parlent de leur mariage, de leur première fois et de leur rapport intime à la sexualité. Dans le second, sont dépeints les ravages de l’homophobie à travers le parcours d’un adolescent qui se fait tabasser parce qu’il a été vu avec un autre garçon…

Lukas Dhont, quelle est votre définition du cinéma queer?

C’est un film qui ose changer les codes, casser les normes, les frontières et les attentes. Pour moi, c’est un cinéma qui transcende, subvertit, interroge et émerveille. Le cinéma queer est un acte de libération, une quête d’authenticité, un exercice de sincérité. Un voyage à la recherche d’un vocabulaire. L’art queer, c’est créer l’espace qui permet à chacun de se découvrir.

Vous êtes le parrain du nouveau Queer Palm Lab à Cannes: en quoi ça consiste?

C’est un atelier pour cinq projets aux thématiques queer qui viennent de partout dans le monde. L’idée est de faire se rencontrer les cinéastes et de les aider à trouver leur chemin. L’expérience collective sur un film est très importante. Pour ma part, mes rencontres avec d’autres réalisateurices ont toujours nourri mes scénarios.

Quels sont vos premiers souvenirs de cinéma?

Aussi loin que je me souvienne, c’est un film Disney : «Fantasia»! Il a plein de couleurs et de musique, je le trouve très fort, avec ce chef d’orchestre qui joue. Les films d’animation ont été des œuvres très importantes pour moi, l’endroit où j’ai senti pour la première fois toutes les grandes émotions de la vie, que ce soit l’amour, le deuil, l’humour… J’ai aussi regardé Mary Poppins en boucle.

«Close» de Lukas Dhont, en 2021

Et quelles sont les premières images queer qui vous ont marqué?

Je me rappelle d’un jour où, à la télévision, il y avait «L’objet de mon affection» et c’est la première fois que j’ai vu un personnage queer, même si je n’en étais alors pas vraiment conscient. Et puis lors d’une sortie d’école, j’ai vu «Brokeback Mountain» et ça a été un moment très fort, j’ai ressenti quelque chose qui brûlait à l’intérieur de moi, j’ai vu le désir que je ressentais à l’écran. Lorsque les lumières se sont rallumées, je n’arrivais pas encore à parler de ce que j’éprouvais, mais ça avait été important d’être connecté à ces personnages pendant deux heures.

Et ensuite?

Je suis allé chercher des images, que ce soit dans le cinéma, avec par exemple «My own private Idaho» ou «Orlando» de Sally Potter, l’un de mes films queer préférés, mais aussi dans la photographie, la peinture, les livres… J’ai trouvé des parties de mon identité à travers l’art queer, ça m’a beaucoup aidé dans mon chemin d’acceptation et de libération.

À quel moment avez-vous voulu faire du cinéma?

Il y a quelque chose qui a toujours été là, dès que j’ai su parler, je crois. J’ai demandé une caméra et très jeune, j’ai commencé à filmer ma maman et mon frère, à créer des histoires. C’était en moi et je ne peux pas expliquer pourquoi. Ensuite, ce qui m’a attiré, c’est de pouvoir fuir dans d’autres univers et vivre des choses plus grandes que la réalité. Au début, je voulais faire des films d’horreur.

Vraiment?

Oui, j’allais régulièrement à la vidéothèque avec mon père et je ne choisissais que ça. Je voulais voir des monstres. J’ai réalisé ensuite que beaucoup de personnes queer étaient attirées par ça, car il s’agit souvent d’outsiders, de personnes rejetées par les autres, qui font peur, qui veulent casser les choses et se venger. Le cinéma a été pour moi un outil de revanche car enfant, je me sentais hors du groupe. J’ai eu le sentiment que je ne pouvais pas parler. Faire des films était alors une possibilité de prendre ma revanche, sur les autres mais sur moi. J’étais très silencieux, absent, et j’ai senti qu’avec le cinéma, j’allais pouvoir parler, expliquer des choses, montrer mon regard sur le monde et enfin me sentir important. Ce désir était si fort qu’il m’a poussé jusqu’au bout.

«Girl» de Lukas Dhont, en 2018

«Close» était très personnel pour vous, puisqu’un des adolescents du film a peur du jugement et du regard des autres… Qu’en est-il de «Girl», votre premier long métrage dans lequel une adolescente née garçon rêve de devenir danseuse étoile?

Il l’est tout autant! C’est un film sur quelqu’un qui veut disparaître dans un groupe, qui veut être comme les autres, mais avec une contradiction, puisque artistiquement, elle veut sortir du lot. Mais le plus personnel est la relation complexe qu’elle entretient avec son corps. J’ai toujours eu moi-même une relation très compliquée avec mon corps. Quand on est adolescent ça peut être très violent et j’ai trouvé important d’en parler. Une des forces du cinéma et de l’art en général, c’est son universalité: celle qui permet de se sentir moins seul, de se sentir exister.

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