Critique9. Januar 2023

«Copenhagen Cowboy» sur Netflix : Cure de néons par Nicolas Winding Refn

«Copenhagen Cowboy» sur Netflix : Cure de néons par Nicolas Winding Refn
© Netflix

Après plus de onze longs-métrages, Nicolas Winding Refn se tourne vers la forme sérielle : d’abord avec «Too Old to Die Young», il réitère aujourd’hui sous le titre «Copenhagen Cowboy», diffusé sur Netflix.

(Une critique de Kilian Junker)

Larguée dans un étrange cabaret en rase campagne, Miu (Angela Bundalovic) se fait engager par une matrone albanaise désirant enfin devenir mère. Si le don de «porte-bonheur» de la jeune fille semble bel et bien efficace sur le désir de maternité de sa cliente, Miu va rapidement découvrir quels marasmes se terrent dans le sous-sol de ce manoir. Prostitution, viols, meurtres… La violence omniprésente semble avoir infecté chaque parcelle de cette banlieue de Copenhague, dont la nuit n’est troublée que par les néons flashy du cinéaste.

L’évidence la plus nette lors du visionnage de cette série, c’est à quel point NWR rejette tous les poncifs de l’ordre narratif imposé majoritairement par la série. Là où elle faisait du champ-contre-champ son plan étalon, NWR préfère la fixité ou explore d’autres mouvements de caméra (jusqu’à en abuser parfois, à l’instar des rotations à 360 degrés). Quand la narration s’imposait comme le centre névralgique du format sériel, le danois crée plutôt une longue déambulation sensorielle, sous forme d’odyssée onirique languissante, laissant le scénario au second-plan. Finalement, si la série se joue de ses climax tendus en cliffhanger pour tenir son public, «Copenhagen Cowboy» le happe plus sournoisement d’un poison rétinien transmis par ses images.

De là à le rapprocher de David Lynch, il n’y a qu’un pas impossible à ne pas franchir tant NWR cite le cinéaste américain. Du motif de la «Red Room» qui traverse toute la série aux multiples références au monument «Blue Velvet», il y a aussi cette ambiance anxiogène, faite de fausses-pistes et d’un mysticisme ambiant, qu’elle partage avec la troisième saison de «Twin Peaks».

© Magnus Nordenhof Jønck / Netflix

Les deux œuvres sérielles s’échappent de leur carcan pour devenir, chacune à leur manière, un véritable objet d’art total. Parfois difficiles à cerner et résolument expérimentales, c’est du côté de la peinture et de l’art contemporain qu’elles lorgnent. Lynch citait allègrement Duchamp et son œuvre bien connue «Étant donnés» (entre autres), NWR piocherait plus du côté de Francis Bacon et ses toiles de visages déformés que «Copenhagen Cowboy» semble parfois mettre en mouvement.

Et qui de mieux que Bacon pour injecter la souffrance dans l’image. Une souffrance, en l’occurrence, majoritairement féminine, de personnages perdus dans une matrice masculine oppressive : des proxénètes ayant le coup-de-poing facile, des mafieux au lourd passif ou encore d’étranges aristocrates vampiriques… Si NWR manie parfois des métaphores un peu grossières pour traiter de ses sujets (l’homme-porc en est l’exemple-clé), il parvient tout de même à créer des protagonistes fortes, que ce soit Miu ou son némésis Rakel (Lola Corfixen, la fille de NWR).

Pourtant, dans ce microcosme nocturne et brutal, NWR fait le choix d’infuser ses plans d’une ambiance malsaine en reléguant une bonne partie de la violence graphique au hors-champ. Un choix nouveau chez le danois – on se souvient notamment encore de l’ultra-violence frontale de son «Only God forgives» – qui permet à l’ambiance de ne pas pâtir de climax passagers induisant résolument des baisses de tension, et ainsi de garder le spectateur dans ce sordide entre-deux.

© Magnus Nordenhof Jønck / Netflix

L’autre fait intéressant dans la construction de ces personnages féminins réside dans le parallèle que l’on pourrait faire avec l’œuvre de Dario Argento. Outre les ambiances lumineuses faisant de bon nombre de scènes des monochromes («Suspiria», «Les Frissons de l’Angoisse»…), plusieurs rôles sont des archétypes que l’on retrouve chez eux deux : la prostituée, l’aveugle, la vengeresse… Mais plus que cela, les deux réalisateurs ont en commun d’avoir choisi leur propre fille dans l’un de leurs rôles principaux.

Qu’il s’agisse d’Asia Argento pour le maître du giallo ou de Lola Corfixen chez le danois, leurs personnages forts et osés marquent l’écran. Et malgré toutes ces références égrainées au cours de son récit, c’est bien Alejandro Jodorowsky que Winding Refn confie avoir consulté lors de la réalisation de la série. Un artiste, comme il l’avouait dans sa masterclass au Festival international du film de Genève, qui a marqué sa cinéphilie et à qui il n’hésite pas à demander conseil lorsqu’il travaille. Reste donc à (re)visionner «Copenhagen Cowboy» en se demandant où le réalisateur d’«El Topo» a bien pu influencer le danois.

3,5/5 ★

À découvrir sur Netflix.

Bande-annonce

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