Critique3. Juli 2023 Theo Metais
Critique de «La maison von Kummerveldt» sur Arte, une chronique rock, baroque et féministe
Une jeune aristocrate allemande revendique son droit de vivre et d’écrire face à la société patriarcale. On fait le point sur «La maison von Kummerveldt» sur Arte : un récit d’émancipation sous le Second Empire et fichtrement contemporain!
À la fin du XIXe siècle, Luise von Kummerveldt (Milena Straube), une jeune aristocrate, vit recluse derrière les murs de brique du manoir familial. Aspirante écrivaine, un ouvrage se présage sous la bénédiction de son père, le baron Kummerveldt, qui meurt brutalement. Désormais, le petit domaine de Westphalie et ses domestiques se retrouvent sous la joute de l’ainée, Veit (Marcel Becker-Neu), un personnage autoritaire. Et alors qu’il ordonne à sa jeune sœur de se marier, elle préfère sauter par la fenêtre et empoigne son émancipation. Prête à tout pour écrire et être publiée, bien que Veit l’en empêche, quitte à masculiniser son nom et mettre sa vie en danger.
Tournés dans les décors pittoresques de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et réalisés par le cinéaste et producteur allemand Mark Lorei, les six, et courts épisodes (environ 15 minutes chacun), de «La maison von Kummerveldt» nous emportent à l’avant-veille de la Première Guerre Mondiale, au cœur du wilhelminisme allemand. Une période sous le règne de Guillaume II, dernier Empereur d’Allemagne, caractérisée par l’orgueil, les casques militaires à pointe (les très schön Pickelhaube), l’impérialisme politique, la tradition et le conservatisme social. Bref, un délicieux menu entrée-plat-dessert qui sert ici de décorum à cette mini-série éclectique, rugissante et féministe.
Face à Luise : un frère abusif, Veit (Marcel Becker-Neu), jeune louveteau tout droit sorti de l’école militaire qui prend la tête de la meute après le décès du père. Métaphore de la société allemande du 19ᵉ siècle, dans le microcosme de leur domaine bourgeois, le dogme et la tradition deviennent mères de vertu. Gare à celui ou celle qui se divertit, l’austère, c'est chic! Rien n’importe plus que les courbettes face à la grandeur de l’Empire. Un climat dans lequel l’élite comparait encore la présence d’une épouse à celle d’un animal de compagnie. Et alors que son frère lui refuse l’accès au bureau où elle écrivait paisiblement son roman, la jeune femme a tout l’air de cet oiseau en cage, elle qui désormais se perche en haut des fontaines pour écrire et vagabonde en compagnie des arbres.
Prête à défier la foudre au milieu de la nuit pour défendre son droit de vivre, et obtenir enfin la clé du bureau pour écrire, la rédemption, fut-elle possible, passerait par ces vains et funestes défis qu’elle et son frère se lancent. Une coutume abominable initiée à l’enfance qu’ils utilisent pour entretenir un rapport de domination permanent. Des duels où la clémence fragilise et dont, s’ils survivent, ne ressortent que des vainqueurs et des vaincus. Luise entend faire exploser son corset à la gueule du frère, et donc de la patrie. L’ennemi a le visage d’un proche, elle acceptera tout, même de revivre l’horreur, car «c’est le sang des femmes libres qui traverse cette histoire».
Produit par la société Goldstoff Filme, sous la coupe d’Arte et de la ZDF, «La maison von Kummerveldt» emprunte aux œuvres de l’écrivaine américaine Louisa May Alcott et au vibrant «Marie-Antoinette» de Sofia Copolla. Cette fiction historique, adaptée du scénario de Cecilia Joyce Röski, aura le charme singulier des premières créations : un brin éparpillées, mais terriblement passionnées. Accompagnée par les guitares anachroniques du groupe de rock Gurr, symptomatique d’une scène allemande bouillonnante, «La maison von Kummerveldt» refuse l’héroïsation de son personnage. Il s’agit avant tout d’une femme qui revendique son existence. Aussi âpre soit l’émancipation, l’ingénieuse narration visuelle transforme l’implosion de Luise en un récit pop et criant. Si la morale sera crue, étouffante, une note d’espoir surgit parmi les natures mortes qui moisissent en timelapse en ouverture de chaque épisode : que les Filles du docteur March s’en inspirent, mais il y a peut-être dans la mélodie de ces mouches qui rôdent autour des cadavres de pommes, les prémices d’une orchestration pour faire tomber les empires.
4/5 ★
Première diffusion sur Arte et arte.tv le 6 juillet.
Bande-annonce de «La maison von Kummerveldt»
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