Critique15. November 2022

GIFF 2022 : «Pacifiction» - Thriller vénéneux en Polynésie française

GIFF 2022 : «Pacifiction» - Thriller vénéneux en Polynésie française
© Sister Distribution

Le dandy catalan Albert Serra nous présente son nouveau film, «Pacifiction» : un thriller occulte sous fond de Paradis perdu, porté par un Benoît Magimel exceptionnel. Un film présenté dans la section non-compétitive Highlights du GIFF (Geneva International Film Festival), en première suisse.

(Une critique de Kilian Junker depuis le GIFF 2022)

Sous leurs airs de carte postale, les îles du Pacifique deviennent sous la caméra d’Albert Serra un sombre échiquier, où chaque personnage avance masqué. Le «Haut-commissaire» De Roller (Benoît Magimel) louvoie en grand désinformateur au sein de ces atolls paradisiaques où tout semble avoir été contaminé par le nucléaire et le colonialisme.

Qu’est-ce qu’une fiction détachée de tout narratif, indifférente à toute contrainte scénaristique ? Albert Serra fait le pari d’y répondre avec «Pacifiction – Tourments sur les îles», deux heures quarante-cinq de délires visuels, tentaculaires, informes et sans limites. Suivant le «Haut-commissaire» De Roller - une fonction post-coloniale de représentation de l’État français auprès d’une communauté principalement indigène – dont on ne saisira pas bien ses contours d’homme galant, résolument faux, empâté dans son costume d’un blanc trop propre. Un mafieux? Un proxénète trouble? Probablement ça et bien plus. Porté par la prestation magistrale d’un Benoît Magimel rarement aussi bon, «Pacifiction» nait de l’extrême tension que Serra, posté en marionnettiste de toute sa galerie de personnages, induit dans les relations entre acteurs.

«Pacifiction» est infusé d’une paranoïa constante, qui nourrit non seulement les relations entre protagonistes, mais également le film en lui-même : les plans s’étirent, se dilatent, laissant au spectateur entrapercevoir dans la moiteur de ces nuits tropicales ou dans le roulis infatigable de l’océan, les infections telluriques qui dictent la vie sur ces îles. Capitalisme rampant figuré dans ce night-club mal famé où évoluent les personnages, évangélisation crasse poussant en champignons informes dans le paysage tahitien, post-colonialisme latent, tout concours à ce chaos ambiant menant au dernier tiers du film. Une véritable hallucination collective menée par un rythme électro où l’image se désynchronise de la musique pour jet-laguer le spectateur au sein de ce bal qu’il ne peut plus comprendre. Un thriller vénéneux dont on ne ressort pas indemne.

4,5/5 ★

Le 21 décembre au cinéma.

Plus d'informations sur «Pacifiction».

Bande-annonce

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