Critique30. Oktober 2019 Sven Papaux
«Doctor Sleep» - Danny et ses fantômes affamés
En 1980, Stanley Kubrick se réappropriait le livre de Stephen King pour en faire l’un des classiques du cinéma. L’hôtel Overlook et la performance de Jack Nicholson étaient devenus des légendes du septième art. Mike Flanagan reprend le flambeau en adaptant la suite des aventures de Danny Torrance, sous l’appellation de «Doctor Sleep».
L’hôtel est barricadé, les années 80 sont loin derrière lui, mais quelque chose maintient Danny dans l’angoisse permanente. L’alcool et la drogue pour y remédier, le cocktail ne suffit plus pour masquer son héritage. C’est dans le New Hampshire, à Frazier, qu’il parvient à garder la tête hors de l’eau. Mais quelques années après, il découvre Abra, une jeune fille aux dons extrasensoriels. Il replonge dans son passé enfoui. Abra (Kyliegh Curran) et Danny (Ewan McGregor), logés à la même enseigne en matière de pouvoirs, vont croiser le chemin de Rose Claque (Rebecca Ferguson) et sa tribu. Ces êtres malfaisants se nourrissent des dons d’innocents pour s’offrir une vie éternelle. L’hôtel Overlook n’est pas encore totalement cadenassé.
Le pire est derrière, loin, enterré dans les montagnes du Colorado. Stephen King l’avait déterré en 2013 avec son roman «Doctor Sleep». Mike Flanagan l’adapte fidèlement pour raviver les effluves obscures du passé. Les fantômes sous scellés, enfermés dans l’esprit du petit Danny devenu grand et barbu, le «visage» de l’hôtel Overlook reste ancré en lui. En 2011, Danny n’est que l’ombre de lui-même, alcoolique en puissance, à la ramasse. Son salut lui vient d’un homme: Billy Freeman (Cliff Curtis). Une première clé (existentielle) pour ne plus sombrer. Mais la force du Shining n’est jamais très loin, elle rôde. Abra (Kyliegh Curran) est ce lien entre passé et présent, ce point de bascule. Entre cauchemar éveillé ou réminiscences de passé, la frontière est ténue. À l’image du petit Danny «kubrickien» sillonnant les couloirs avec son tricycle, l’histoire circule entre les protagonistes pour nous emprisonner dans une atmosphère suffocante.
«L’effrayante Rose Claque, campée par la sublime et magnétique Rebecca Ferguson...»
Mike Flanagan, auteur récemment de l’excellente série «The Haunting of Hill House», s’inspire de l’œuvre de Stanley Kubrick, lui emboîte le pas sans crainte. Cinéma psychologique, rien que par sa musique qui fonctionne en pulsations, tel un cœur qui bat sous l’effet de la terreur graduelle, «Doctor Sleep» ouvre la boîte de Pandore pour laisser échapper nombre de fantômes affamés et douleurs d’antan. C’est bien la souffrance qui s’exprime, nourriture fétiche de l’effrayante Rose Claque, campée par la sublime et magnétique Rebecca Ferguson. Véritable poison pour Danny, mais force indéniable du métrage, Ferguson hante le film de son regard, de son voyage intérieur - une sublime séquence vient étayer nos propos, où Rose flotte à la surface du globe - pour extraire les (cris) douleurs d’innocents. À travers elle, une brise exhale un mal pervers, sanglant, inhumain.
«La douleur que tu éprouves n’est qu’un rêve» dégoise Rose Claque. «Doctor Sleep» voyage à travers les vapeurs du mal, supplice psychologique et physique quand un petit joueur de baseball (Jacob Tremblay) se fait happer par la tribu maléfique pour extraire la sève tant convoitée: la douleur. Surnommés le «Noeud Vrai», ses membres maléfiques traversent les époques et les événements. On y retrouve d’ailleurs Zahn McClarnon («Westworld»), dans la peau de Crow Daddy, bras droit de Rose Claque. Un casting dans son entièreté de bonne facture, incarné par la nouvelle venue Kyliegh Curran - d’une étonnante maîtrise - et Ewan McGregor dans un rôle qui lui sied. Et si tout le monde voyait une brasse coulée à l’horizon, Mike Flanagan réussit à reprendre le flambeau de manière (très) convaincante, même si l’intégration de certaines séquences du «Shining» de 1980 sont maladroites et viennent freiner l’excellent rythme du récit dans son dernier acte. Flanagan conserve l’âme du «Shining» avec un certain brio.
En bref!
Projet ô combien tortueux et compliqué, que Mike Flanagan amorce avec élégance et maîtrise. Il profite d’une iconique Rebecca Ferguson pour instaurer un climat suffocant et vertigineux, où les ténèbres pulsent. Le cadenas est crocheté pour laisser les vapeurs du mal vous agripper pendant 2h30.
4/5 ★
Plus d'informations sur «Doctor Sleep». Le 30 octobre 2019.
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