Critique2. Juni 2022 Cineman Redaktion
«Elizabeth : A Portrait in Part(s)» - Espiègle mosaïque d’une femme de tous les records
Alors qu’au Royaume-Uni commencent les célébrations du jubilé de platine de la reine Elizabeth II, sort dans le cinéma un documentaire joyeux et coloré, œuvre ultime du réalisateur Roger Michell. Basé sur des images d’archives, «Elizabeth : A Portrait in Part(s)» propose un portrait de la monarque aux soixante-dix années de règne, le plus long de l’histoire, dont l’énorme popularité confine au mythe.
(Une critique de Laurine Chiarini)
En 2004, le photographe Chris Levine, mandaté pour produire un portrait de la reine Elizabeth à l’occasion des 800 ans d’allégeance de l’île de Jersey à la couronne britannique, avait capturé sur le vif un moment de méditation flottante. Entre deux poses, la monarque avait brièvement fermé les yeux pour quelques secondes de repos.
Les images de ses discours, inaugurations ou poignées de main sont fascinantes...
Inconcevable il y a 20 ans, une telle image aurait été réservée aux artistes, acteurs et autres musiciens : une cheffe d’État, elle, se doit d’avoir les yeux grand ouverts et le regard fermement braqué sur les vicissitudes du monde. C’est sur cette image, de laquelle émane une étrange lueur, que s’ouvre «Elizabeth : A Portrait in Part(s)», dernier film du Britannique Roger Michell avant son décès en 2021.
La parenthèse du titre explique à la fois la forme et un parti pris : «in part», signifiant en partie ou partiellement, car prétendre à l’exhaustivité pour raconter en une heure et demie la vie de celle qui cumule les records de longévité serait irréaliste. «In parts», en (plusieurs) parties, car tel est construit le film, par petites touches, au fil des quelque 18 chapitres qui le constituent, se concentrant chacun sur une facette de celle dont l’énorme popularité n’entame en rien le mystère qui entoure sa personne.
Surtout connu pour le film «Notting Hill», Roger Michell est passé par le théâtre. De ses années à la direction de la Royal Shakespeare Company, il a gardé un sens du rythme efficace et un humour débonnaire parfois proche de la satire sociale que n’aurait probablement pas renié le dramaturge anglais lui-même.
Le film exploite adroitement et avec humour un matériel filmique et musical déjà existant.
Le montage, tourbillon coloré rendu possible par le talent de la monteuse Joanna Crickmay et véritable colonne vertébrale du film, met en avant le caractère immuable du personnage qu’est la reine. Alors qu’autour d’elle, le monde change à toute vitesse, le protocole qui régit la moindre de ses apparitions et auquel doit se plier quiconque a l’honneur de la rencontrer, n’a pas bougé d’un iota.
Qu’elle décore un sujet méritant sous les ors de Buckingham Palace ou visite une usine Samsung flambant neuve, le moindre de ses gestes fait partie d’une routine bien huilée et inaltérée dans le temps. Les images de ses discours, inaugurations ou poignées de main sont fascinantes en cela qu’elles restent les mêmes, et ce quelle que soit l’époque, les rendant de fait quasiment interchangeables.
Basé sur des images d’archives uniquement, sans commentaire ajouté, le film exploite adroitement et avec humour un matériel filmique et musical déjà existant. Ni Elizabeth Taylor en Cléopâtre, ni Audrey Hepburn dans «Vacances romaines», mais affichant rayonnement et puissance encore supérieurs : Elizabeth II a cela de fascinant que, derrière la façade qu’exige son rôle, ce qu’elle admet volontiers, sa personne semble être celui de « la fille d’à côté », l’étudiante studieuse et appliquée qui remplit au mieux le devoir qui lui incombe. Certaines paroles des chansons qui composent la bande-son se substituent habilement à une voix hors champ, façon originale de prendre le relais de la narration.
Le montage met en avant le caractère immuable du personnage qu’est la reine.
De «Peppa Pig» à «Creature Comforts», entre dessin animé et cinéma d’animation, Elizabeth II, presque plus célèbre que Mona Lisa, est partout. Comme le souligne un commentateur, ce n’est pas tant elle-même qui fascine, mais l’étendue de sa popularité qui précède la femme qu’elle est. Car au fond, hors protocole, qui est-elle vraiment ?
Si d’innombrables fictions, documentaires et autres séries lèvent un coin de voile sur sa longue existence, nul ne parvient réellement à révéler qui se cache derrière le personnage public. Les dernières images, condensé fascinant d’une scène qui se répète immuablement, présentent des dizaines de poignées de main de la reine, d’aujourd’hui à jeune enfant : la grâce du protocole touche presque à l’immortalité.
4/5 ★
Le 1er juin au cinéma
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Bande-annonce
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