Interview23. Mai 2023 Theo Metais
Interview de Caterina Mona et Lula Mebrahtu sur «Semret» : «Le métier de sage-femme est un peu une métaphore»
Caterina Mona connait bien le Tessin et la Piazza Grande de Locarno qui accueillait durant l'été 2022 son premier film : «Semret». Une exploration de la communauté érythréenne à Zurich au travers d’un touchant personnage incarné par l’artiste Lula Mebrahtu, nous les avions rencontrées.
(Propos recueillis et mis en forme par Théo Metais)
Plus connue pour ses talents au montage et son travail sur de nombreux documentaires, la cinéaste suisse Caterina Mona présentait cette année devant la marée de chaises jaunes de la Piazza Grande son premier long métrage. Comme un air de retour aux sources pour la réalisatrice: «C'est presque comme revenir à la maison. La Piazza est aussi un endroit formidable, notamment pour cette histoire. «Semret» n’est pas un film que l’on attendrait dans une sélection officielle de festival. Il me semble néanmoins que c’est un film qui pourra toucher les gens. Le public pourra s’identifier émotionnellement avec l’histoire de «Semret»».
Un film particulier en effet, une pellicule éthérée qui permet de mettre en lumière la communauté érythréenne à Zurich. L’excellente Lula Mebrahtu incarne cette sage-femme immigrée au parcours singulier. Elle qui vient de quitter son pays natal, laissant derrière elle bien des traumatismes inavouables alors que sa fille adolescente commence à questionner son existence. Artiste lumineuse, avant-gardiste et multidisciplinaire, Lula Mebrahtu incarne Semret avec une élégance et un naturel époustouflant: «D’avoir eu la chance d’être le rôle principal était juste phénoménal» avant de poursuivre «C’est un peu surréaliste. (...) j’avais impression d’être à la maison. Je me demandais comment je faisais pour me sentir à l’aise à ce point. C’est quelque chose que je dois à toute l’équipe technique et au travail que l’on a fait avec Caterina sur le personnage. Je l’avais vraiment dans la peau. Je n’ai pas eu l’impression d’avoir quelque chose à atteindre.»
Au travers du personnage de Semret, Caterina Mona dévoile les dessous de la migration érythréenne en Suisse alémanique et plus particulièrement à Zurich. Une idée murie depuis plusieurs années selon la cinéaste : «Ça a commencé il y a quelques années quand un certain nombre de médias populistes en Suisse avait entamé une propagande très négative envers les réfugiés d’Érythrée. Et dans mon quartier, il y avait des gens venus d’Érythrée. Nous nous connaissions, les enfants allaient à l’école ensemble, ils étaient amis etc. Et puis l’idée du film m’est venue comme ça. J’ai vraiment voulu parler d’une femme d’Érythrée à Zurich. Elles sont si nombreuses.»
Un film qui ne manque pas non plus de parler de la ville dans laquelle il se déroule. Une ville chère à la cinéaste, un commentaire sur Zurich et son époque : «C'est mon quartier, c’est ma maison. J’allais sur le tournage à pied. C’est là où les gens d’Érythrée sont venus habiter et donc il me semblait naturel de tourner là. C’était important pour moi de tourner à Zurich. Et puis c’est plus facile d’écrire sur les endroits que l’on connait. Je marche et j’observe les gens. Le restaurant où on a tourné de nombreuses scènes par exemple, malheureusement la gentrification en a fait une pizzeria branchée. Mais ce sont les endroits que je côtoie depuis 10 ou 15 ans.»
Une femme aux prises avec son passé, et cette formation de sage-femme qu’elle entame à l’hôpital. Un lieu de résilience pour la jeune femme : «Au début, j’avais prévu autre chose pour le personnage et puis finalement, il s’agit de sa renaissance à elle. Alors le métier de sage-femme est un peu une métaphore. J’adore les moments par exemple où elle réconforte les enfants avec cette comptine. Semret est un personnage très fermé, et en lui confiant ce rôle avec les enfants, cela permettait de lui procurer un peu de chaleur.»
Et pour ajouter à la complexité du personnage de Semret, il lui faut définir les termes de sa renaissance en Suisse, pour elle d’abord, et pour sa fille, évidemment, qui grandit avec deux cultures. C’est Lula Mebrahtu qui nous en parle: «Pour la première génération de migrant, il y a deux choix : soit vous vous assimilez, en d’autres termes, et c’est le cas avec beaucoup de mes amis par exemple, il s’agit d’incarner la culture principale du pays d’accueil, ou tout simplement, vous ne le faites pas.» Semret se positionne précisément à l’intersection entre ces deux chemins, elle qui doucement, mais fermement, refuse le contact avec la communauté érythréenne à Zurich qui pourtant lui ouvre les bras.
Et Lula Mebrahtu d’ajouter : «Il me semble que pour gérer ses traumatismes laissés en Érythrée, il lui fallait simplement vivre dans le présent. Elle s’est raccrochée à une vie au jour le jour, et à sa fille. Pour conserver sa culture, elle aurait dû faire face à tout ce qui en découle. C’est un personnage qui essaye de comprendre pour pouvoir parler à sa fille. Même le simple fait d’avoir une brève histoire avec le personnage joué par Tedros Teclebrhan est un élément déclencheur. Alors elle s’ancre dans le présent, et la seule manière d’aller de l’avant, c'est d’être dans le présent, d’être à Zurich, d’être cette sage-femme et d’être suisse.»
«Semret» est à découvrir au cinéma le 24 mai.
Plus d’informations sur Semret.
Bande-annonce
La rédaction vous recommande aussi:
Vous devez vous identifier pour déposer vos commentaires.
Login & Enregistrement