Article4. Mai 2023 Cineman Redaktion
Intelligence artificielle, doit-on craindre la fin du cinéma ?
À la croisée de bien des mondes, les créations générées par les intelligences artificielles fascinent autant qu'elles interrogent. L'occasion de réfléchir aux implications philosophiques et artistiques de l’IA pour le cinéma.
(Un article de Kilian Junker)
L’Intelligence Artificielle, ou de son acronyme IA, a toujours fasciné le monde du cinéma. Nous pourrions évoquer Kubrick, évidemment, mais aussi Spielberg qui avait fait de Jude Law un romantique robot dans son « A.I. Intelligence artificielle » en 2001… Pourtant, ce qui n’était que de la science-fiction s’est aujourd’hui muté en réalité, notamment avec le bond en avant prodigieux des IA et une démocratisation impressionnante des procédés de création artistique assistés informatiquement. Récemment, un « nouveau » titre de Jay-Z a engrangé des centaines de milliers de vues alors qu’il avait été créé par une IA. Et parallèlement, tout le monde, en quelques clics, peut désormais générer du contenu photoréaliste à partir d’une brève description écrite. Un fait nouveau qui interroge, notamment, sur le sens de l’image comme information…
Mais si ces créations peuvent en effet avoir une portée politique, l’accès récent pour tout un pan de futurs faussaires numériques à des outils aussi puissants interroge également les sphères artistiques. Certains y voient un formidable outil : le créateur peut en effet, moyennant quelques phrases, créer quasiment instantanément n’importe quel pré-visuel. Exit les longues modélisations, la multiplication des esquisses et les maquettes chronophages, Internet leur livre des premiers jets d’une qualité exceptionnelle en un temps record. Mais si ce côté peut effectivement être réjouissant, le nombre de dérives possibles de tels programmes reste incommensurable, jusqu’à imaginer, désormais, des films entièrement « conçus » par une intelligence artificielle.
Un rêve pour certains acteurs de l’industrie hollywoodienne, comme l’un des réalisateurs de Marvel, Joe Russo, qui a déjà placé ses pions dans cette industrie lucrative en créant sa propre société de développement. L’IA semble en effet être une aubaine pour ces énormes studios : en avançant des sommes d’argent pharaoniques, ils rechignent de plus en plus à imaginer du contenu original (d’où la multiplication à outrance des suites, spin-off et autres reboots) pouvant désarçonner le public et influer négativement le box-office. Une automatisation du recyclage de la narration et des visuels par le biais de processus informatiques ne peut qu’attirer le fin limier hollywoodien, toujours à l’affût face aux potentiels gains de temps et d’argent.
Car si on parle de « créations » numériques, on devrait plutôt utiliser les termes d’« amalgames ». En effet, il ne faut pas oublier que ces IA marchent grâce aux gargantuesques banques de données d’images qui abreuvent le web. Les récentes vidéos présentant des crossovers fantasques (par exemple « Star Wars » réalisé par Wes Anderson, cf la vidéo ci-dessus) ne peuvent naître que grâce à la préexistence des films d’Anderson et de l’univers de George Lucas. Autrement dit, nous faisons face ici plus à un habile maquilleur numérique qu’à une création ex nihilo de contenu.
Nous pourrions tirer un parallèle avec les meilleurs faussaires qui n’ont jamais détrôné les maîtres de la peinture, pas plus qu’ils n’ont fait s’effondrer l’émergence de nouvelles créations. Et si certaines mégastructures semblent plus se pencher sur le recyclage que le défrichage de nouveautés, les récents chiffres au box-office des produits de leurs recettes préétablies (Black Widow, Ant-Man 3 ou encore Black Adam pour ne citer qu’eux) prouvent que le public commence à se lasser de ces resucées anémiques. En somme, nous ne sommes pas prêts à voir débarquer sur nos écrans la folie d’un « Beau is afraid », l’exubérance d’« Everything Everywhere all at once » ou la vibrance de « Je verrai toujours vos visages » créés par une intelligence artificielle. Et c’est tant mieux ! Ne reste alors plus qu’à faire confiance aux spectatrices et aux spectateurs pour plébisciter un cinéma riche et novateur, qui semble encore avoir de beaux jours devant lui.
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