Critique21. Oktober 2021 Sven Papaux
«Illusions perdues» - Comédie de l’amour et des rêves étouffés
Après sa projection au dernier festival de Venise, l’œuvre majeure d’Honoré de Balzac trouve le chemin des cinémas grâce à la verve de Xavier Giannoli. Liaison entre rêves de gloire et amour passionnel, «Illusions perdues» est l’un de ces films poignants dont le cinéma français a le secret.
Lucien Chardon, ou plutôt Lucien de Rubempré (Benjamin Voisin) rêve de gloire littéraire, de faire transpirer son talent dans le grand Paris. Dans la France du XIXᵉ siècle, débarqué d’Angoulême des poèmes plein la tête, le candide apprenti poète sera rapidement livré à lui-même, avant de découvrir le journalisme. C’est surtout un monde corrompu par l’hypocrisie qu’il dévoilera malgré lui. Monde où tout s’achète et se vend, la presse comme l’art, pour ne recracher que des individus détruits et noircis.
Découvrir la haute société française ; Lucien va rapidement déchanter en embrassant le monde avec sa grande naïveté. L’argent tue tout, il souille les âmes charitables et engraisse les gros argentiers. Une grande comédie humaine où les masques sont aussi visibles que sur une scène de théâtre. Devant la difficulté de retranscrire la richesse de l’œuvre originale, Xavier Giannoli présente une copie avec, peut-être, quelques ratures. Pourtant, sa veine en reste gonflée par le sang d’un désir sublime de faire briller la beauté des mots. Mais rassurez-vous, le verbe de Balzac est honoré.
«Illusions perdues», titre évocateur et si beau, est une quête éperdue vers des sentiers sombres.
Le récit se concentre sur “Un grand homme de province à Paris”, deuxième partie du roman : Lucien et sa ruée vers Paris, des rêves d’une carrière d’écrivain plein la tête, au bras de son amour de toujours, et mécène locale, Madame de Bargeton (Cécile de France). Il sera rapidement abandonné par sa riche maîtresse - poussée à se détacher de lui pour ne pas entacher sa réputation. «Illusions perdues», titre évocateur et si beau, est une quête éperdue vers des sentiers sombres ; vers la passion de l’amour ; vers la puissance des mots et l’indigence d’une ville prête à engloutir les rêves de grandeur de Lucien. Pour incarner cet idéaliste, Benjamin Voisin garde de son magnétisme aperçu dans «Été 85», pour se fondre dans cette grande toile colorée, joliment maîtrisée par Giannoli. S’ajoute une distribution d’envergure : Xavier Dolan, très bon dans la peau du rival littéraire ; Cécile de France, poignante et délicate ; Jeanne Balibar, intransigeante ; Vincent Lacoste, simplement parfait ; ou encore Gérard Depardieu, en éditeur analphabète, mais diablement malin.
Dans ce galimatias de voix et ces amitiés chimériques, Xavier Giannoli démoule un film puissant, prenant, parfois foudroyant. Parce qu’être talentueux, avoir une plume aussi belle qu’acide, peut rapidement vous attirer des problèmes. Lucien va l’apprendre à ses dépens, comme journaliste pour une presse à scandale « qui ne tient pour vrai tout ce qui est probable ». Une grande vérité de la vie, toujours d’actualité, où la poésie se retrouve noyée par un mouvement exécrable, où l’hypocrisie et la corrosion écornent le talent et le déchirent en mille morceaux.
4/5 ★
Le 20 octobre au cinéma. Plus d'informations sur «Illusions perdues».
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