Interview15. April 2024 Cineman Redaktion
Du rire à l’émotion, rencontre avec Ahmed Sylla: «je suis un grand timide»
Sur scène ou sur les écrans de cinéma: Ahmed Sylla est sur tous les fronts. L’occasion de discuter avec lui de son rapport à l’humour et d’évoquer son actualité dans les grandes lignes.
(Propos recueillis et mis en forme par Marine Guillain.)
C’est au Festival de l’Alpe d’Huez, en janvier dernier, que nous avions rencontré Ahmed Sylla. Entre deux représentations de son nouveau one-man-show, le comédien et humoriste français avait trouvé le temps de faire l’aller-retour pour présenter la comédie «Ici et là-bas». Dans ce film de Ludovic Bernard (au cinéma le 17 avril), il joue un Français d’origine sénégalaise qui fait tout pour «se fondre dans le moule» et faire oublier qu’il vient d’Afrique. Alors qu’il est habitué à se cacher derrière son téléphone pour démarcher les clients et les clientes, il va devoir cette fois aller à leur rencontre en chair et en os…
Cineman : Comment se sont passées vos retrouvailles avec Ludovic Bernard pour «Ici et là-bas», sept ans après «L’Ascension»?
Ahmed Sylla : C'était très touchant, on a une affection particulière l'un pour l'autre. Ludovic est un grand réalisateur, c’est le premier à m’avoir fait confiance en me donnant le rôle principal de «L’Ascension». Sur un plateau, on n'a même pas besoin de se parler pour savoir ce que je dois changer, on se comprend en un regard. «Ici et là-bas» est une comédie émouvante avec de belles valeurs, qui est au final plus touchante que drôle.
Il y a justement une scène du film où vous pleurez de manière très frontale et visible face à la caméra…
AS : Oui, j’ai adoré faire ça. Je sais que je suis drôle, c'est mon métier de base. C'est par la suite que j'ai découvert que je pouvais toucher les autres, ça je ne le savais pas et je trouve très beau de pouvoir interpeller quelque chose chez les gens. Moi qui ai fait beaucoup de comédies, j’ai envie désormais d’explorer ça à travers les films ou à travers mon spectacle, d'aller davantage dans l'émotion et de l'assumer pleinement. Peut-être que c'est le moment pour moi d'aller plus loin.
Qu’est-ce qui vous a le plus parlé dans l’histoire de Sékou, votre personnage?
AS : C’est son parcours initiatique, autant intérieur qu’extérieur, qui va le mener à comprendre à quel point c'est important de garder son identité et de ne pas se trahir.
Lors de ce road trip initiatique à travers la France, Sékou doit se coltiner son cousin, qui a un caractère aux antipodes de lui : Adrien, incarné par Hakim Jemili…
AS : Hakim est un vrai frère que je côtoie dans la vie, on s'aime beaucoup, on a la même éducation... On a eu beaucoup de fous rires et de moments forts, c’était génial de vivre ce tournage avec lui.
Ce binôme improbable part à la rencontre des maraîchers et maraîchères de France : que vous évoque la gastronomie française?
AS : Je viens de Nantes, alors j'adore les crêpes et les galettes. De manière générale, j'aime beaucoup découvrir les produits d'une région, du terroir, j'adore le fromage par exemple. Mon amour pour le fromage vient de mon père, qui adorait ça. Plus je vieillis, plus j'apprécie ce genre de choses.
Récemment, sur Instagram, vous avez écrit avoir «souffert pour entrer dans le corps de Souleyman», le personnage que vous incarnez dans le film «Comme un prince», d’Ali Marhyar. Pourquoi le mot «souffrir»?
AS : Parce que ce n'était pas un rôle facile, tant physiquement que psychiquement. Je n'ai pas l'habitude de ça. Souleymane est un boxeur d’élite, à qui tout est promis, et qui perd tout, donc déjà, je n'allais pas être drôle. Ensuite, il fallait que je sois crédible physiquement en tant que boxeur. J'ai donc pris entre 7 et 10 kilos de muscles pour ça et j'en ai vraiment bavé.
Comment?
AS : J’ai eu des séances de musculation pendant des mois et surtout, j’ai dû me mettre au régime, moi qui adore manger! Pour moi, la bouffe, c'est la vie ! Là, tout était calculé, je ne mangeais que des légumes… Je n'en pouvais plus ! Mais je crois que ça valait le coup, car au final, on y croit.
Est-ce qu’il faut du culot pour aller loin?
AS : On peut vivre sans, mais si on veut se challenger, se surprendre, c'est nécessaire. Je ne serais pas là sans le culot, je ne ferais pas cette interview. De base, je suis un grand timide, je ne me sens pas à l'aise quand il y a beaucoup de monde... Je suis plus cool en petit comité. Mais il faut du culot si on a envie de kiffer, celui qui est intelligent, pas celui qui est orgueilleux.
«Ici et là-bas» parle de racisme, votre spectacle Origami évoque les féminicides… Est-ce que l’on peut rire de tout?
AS : Ce sont des sujets difficiles à aborder, il ne faut pas se louper. Dans mon spectacle (à découvrir le 13 avril 2025 à l’Arena à Genève), je parle des féminicides, car c’est un sujet extrêmement important. Je ne pouvais pas le survoler. Jusqu'au rodage, j'étais tendu. Et puis il y a eu les premières représentations et j’ai vu que ça marchait. Ça touchait le public et c’était un genre de rire nouveau, parfois libérateur. Je ne m’attendais pas à ce que ça touche les gens à ce point. Là, je me suis dit que je voulais vraiment parler de vrais sujets et parvenir à faire rire de cette manière.
Comment l'humour est-il arrivé dans votre vie?
AS : Il est là depuis tout petit. C'était une échappatoire, un moyen pour moi de me faire aimer, de faire sourire ma mère quand elle était un peu triste... Et de cacher mes émotions. Je ne voulais pas qu'on sache quand je n'allais pas bien, donc j'avais tendance à en faire un peu trop.
Plus d'informations sur «Ici et là-bas»
Bande-annonce d'«Ici et là-bas»
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