Interview13. Oktober 2023 Theo Metais
Alain Gagnol : «Ce n'est pas l'intelligence artificielle qui me fait peur, c’est la cupidité»
Rencontré dans les jardins du cloître de l’ancienne Scuola Magistrale au dernier Festival de Locarno, nous nous sommes entretenus avec Alain Gagnol. Cinéaste aussi discret que passionnant à écouter, il s'est confié sur «Nina et le secret du Hérisson», Guillaume Bats, ses références et le sacre de l'intelligence artificielle.
(Propos recueillis et mis en forme par Théo Metais)
Après le succès de «Phantom Boy» en 2015, Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli sont retournés derrière la table à dessins. Présenté à Annecy puis dévoilé en grande pompe au dernier Festival de Locarno, leur nouveau projet, «Nina et le secret du Hérisson» (en salles depuis le 11 octobre), nous raconte les aventures de Nina et de son ami Mehdi, alors que leurs pères viennent de se faire licencier de leur usine. En proie à la dépression, les deux pères sombrent doucement. Mais alors que la police apprend que le directeur de l’usine est un truand, Nina et son ami essayent de mettre la main sur un trésor qu’il aurait caché dans les locaux de son entreprise.
Pour incarner vocalement cette histoire, Audrey Tautou et Guillaume Canet prêtent leurs voix aux parents. «Quand j’écris, je n'ai pas de références, je me consacre vraiment aux personnages.» confie Alain Gagnol «Dans le cas d’Audrey Tautou, c'était facile parce qu'elle avait fait une voix dans notre film précédent, «Phantom Boy», et nous avions adoré son travail. Puis Guillaume Canet est arrivé assez vite. On sentait qu'il avait cette sensibilité dans la voix qui pouvait bien correspondre avec le père. Un mélange à la fois de douceur, mais en même temps, on pouvait sentir un certain tourment intérieur.»
Pour donner du corps et du cœur au fantasque petit hérisson, c’est l’humoriste français Guillaume Bats, décédé en juin dernier, qui a prêté sa bonhomie au personnage. «Je n'avais pas envie de voir un comédien qui modifie sa voix pour faire une voix, entre guillemets, de dessin animé. C'est toujours un peu criard et ça manque un peu de subtilité. J'avais remarqué la voix de Guillaume, puisqu’il n’avait pas besoin de transformer sa voix, donc il pouvait jouer au premier degré. Il ne jouait pas un hérisson, il jouait un personnage qui, dans chaque scène, vit des émotions.»
A son égard, le cinéaste ne tarie pas d'éloges. «Il a amené vachement de subtilités et d'émotions. Sa disparition nous a rendu très triste parce qu'il n’a jamais pu voir le film terminé. Ça changeait de son registre habituel, et je pense que, par rapport au public, il aurait eu des retours vraiment chaleureux. C'est un comique. Et là, d'un coup, il était plus dans l'émotion. Il avait quelque chose de très fragile, de très sensible. J'adore ce qu'il a fait.»
Pour ce long-métrage, Alain Gagnol s’est une nouvelle fois accompagné de son fidèle binôme depuis «Une Vie de chat» en 2010, le célèbre animateur français Jean-Loup Felicioli (nommé aux Oscars). «Ça commence toujours avec moi, puisque j’écris le scénario» nous dit-il. «Et à partir de ça, il fait les premières illustrations. Je n'interviens pas sur le graphisme, c'est vraiment lui. Et une fois que le film est lancé en fabrication, c'est un gros mélange. Je fais un premier story-board et ensuite, lui en fait un autre beaucoup plus clean, avec les visages des personnages, les vrais décors. Après, ça part en animation et là, on intervient au fur et à mesure.»
«Nina et le secret du Hérisson» se fait une nouvelle fois le miroir d’une animation merveilleuse et d’un univers visuel tout aussi fascinant. Entre le noir et blanc des animations des années 20 et les couleurs fauves à la Lorenzo Mattotti, le secret des références restera bien gardé. D'où viennent les idées après tout ? Alain Gagnol préféra nous répondre sur la singularité des lieux du métrage, qui, elle, c’est vrai, nous avait un peu échappé. «J'ai toujours plein de références, mais elles sont assez inconscientes. J’ai surtout pensé en termes de lieux. Les lieux sont aussi importants que les personnages.» Des lieux qu'ils nous décrit d'ailleurs avec passion. «Par exemple, il y a l'univers des appartements. On a un immeuble qui n'est pas très haut, c'est le cocon familial, c'est la bulle. Les enfants y sont protégés. Ensuite, comme c'est une petite ville, il y a directement à côté une forêt. Et la forêt, c'est le lieu transition pour arriver à l'usine qui est un peu la maison du méchant, la maison de l'ogre. Là, c'est là le danger. Les trois lieux fonctionnent comme ça.»
Au cours de ses pérégrinations dans «Nina et le secret du Hérisson», le public appréciera sans doute la dimension onirique du métrage et la place accordée à la nature et à ses hôtes. «C’est bien de citer ça parce que ça fait partie des références directes des choses que j’ai pu voir ailleurs. Ça vient tout droit du film «La Nuit du chasseur». Il y a un moment où les deux enfants sont poursuivis par Robert Mitchum, ils montent dans une barque, partent et c'est comme un charme magique. Et en même temps qu’ils suivent le cours de l’eau, on voit un lapin, une araignée, il y a plusieurs bestioles. C’est un film qui m’a extrêmement marqué.» Avant de poursuivre «Ce que ça dégage, c’est le lien à la nature. J'aime bien qu'il y ait des animaux dans les films. Ça me permet de parler discrètement du fait que l'être humain a pris une place centrale dans le monde, mais qu’il fait en réalité partie d'un tout qui englobe tout ça. C'est un peu subliminal, mais c'est mon interprétation.»
Et pour conclure ce riche entretien, nous l'avions interrogé, en tant qu’individu, d’une part, mais aussi et surtout en tant que réalisateur dans le monde de l’animation, sur sa vision des nouvelles technologies et l’émergence notamment des intelligences artificielles. Alors, possibilité créative ou angoisse profonde ? «De toute façon, je suis extrêmement méfiant de l'informatique. Je vois bien l'avantage que ça a, notamment en terme de montage, même au niveau de la captation d'image. Le fait de ne plus avoir de pellicule a beaucoup de désavantages. Mais par contre, au niveau des couleurs, c'est plus facile qu'avant.»
«Le seul problème avec toutes ces histoires d’intelligence artificielle, c'est que ça va permettre de faire des choses beaucoup plus vite, beaucoup moins cher. Les trois quarts des gens qui font du cinéma, je parle des financiers, ce qui les intéresse, c'est faire de l'argent, ce n'est pas l'art. Et c'est là que c'est dangereux, c'est la façon dont ça va être utilisé. Parce que s’ils peuvent se passer de scénaristes, ou s’ils ont juste des scénaristes qui viennent pour remettre des trucs d'aplomb en les payant dix fois moins cher que ce qu'ils auraient dû, ils ne vont pas se gêner. Au niveau de l'animation, c'est pareil. Tant qu'on mettra l'argent en premier critère, ça sera forcément catastrophique. Moi, ce n'est pas l'intelligence artificielle qui me fait peur, ce sont les êtres humains, c’est la cupidité. S'il y a un problème, il viendra de là.»
«Nina et le secret du Hérisson» et à découvrir au cinéma depuis le 11 octobre.
Bande-annonce de «Nina et le secret du Hérisson»
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