Interview4. September 2024

Klaudia Reynicke sur «Reinas»: «Je voulais parler de l’intensité du départ»

Klaudia Reynicke sur «Reinas»: «Je voulais parler de l’intensité du départ»
© Marco Abram

Une mère s'apprête à quitter le Pérou pour les États-Unis. L'Helvético-Péruvienne Klaudia Reynicke conjugue l’histoire de sa famille à celle de son pays natal. Après son passage à Sundance, et avant la présentation de son film sur la Piazza de Locarno en août dernier, nous l’avions rencontré aux confins du festival berlinois. Lumière sur le touchant «Reinas».

(Propos recueillis et mis en forme par Théo Metais)

En 1992, le Pérou est en pleine récession et l'organisation insurrectionnelle du Sentier lumineux fait des ravages. Dans ce contexte politique instable, Elena (Jimena Lindo) décide de prendre le large avec ses deux jeunes filles. Direction Minneapolis, elle vient d’y décrocher un nouvel emploi. Or, pour quitter le pays, elle doit obtenir la signature de Carlos, son ex-conjoint (Gonzalo Molina).

Le départ est prévu dans trois semaines, et celui qui n’était plus qu’un étranger, refait surface. Il semble vouloir renouer avec ses filles. Doucement, péniblement, pareils à ces étoiles qui brillent de mille feux avant de s’éteindre pour l’éternité, la famille reprend vie dans un dernier éclat. Au volant de son taxi, conscient de ses maladresses passées et du poids de ce départ précipité, le père retrouve ses filles, et les filles leur père. Sous le regard suspicieux de la grand-mère (Susi Sánchez), la signature, elle, se fait attendre…

«Je voulais évidemment parler de cette famille et d’amour.» nous confie Klaudia Reynicke. «L’amour, c’est compliqué pour eux. Comment une famille qui a été une famille, mais qui n’en est plus vraiment une, peut-elle se remettre ensemble avant de se séparer à nouveau? En réalité, c'est une idée très simple, mais très intense à la fois. Ça veut dire plein de choses.»

«Klaudia Reynicke» sur «Reinas»: «Je voulais parler de l’intensité du départ»
La famille au grand complet dans «Reinas» de «Klaudia Reynicke» © Filmcoopi

Pour conter son histoire, la cinéaste plonge son récit dans l’Histoire du Pérou des années nonante et du président Alberto Fujimori. Un contexte politique brûlant, de récession économique et d’instabilité sociale, que la cinéaste illustre dans son film, en présage du poids qu’il représente dans les décisions de ses protagonistes.

«Le Pérou n’a historiquement jamais connu un épisode aussi violent. Ça a duré presque 20 ans. C’était important pour moi d’en parler puisque j’ai quitté le Pérou précisément à ce moment-là. Je voulais renouer avec mon pays en tant qu’adulte et d’une certaine manière aussi, clore ce chapitre. Par ailleurs, ces histoires se répètent, que ce soit en Amérique latine, mais aussi en Afrique. Ça rendait l’histoire très contemporaine. Ceci étant dit, je ne voulais pas faire un film sur l’immigration, je voulais parler de l’intensité du départ. C’est psychologiquement très dur. La tête est déjà là-bas. Le corps est dans le passé, et le présent est en conflit entre ces deux entités. Le contexte est véritablement l’antagoniste du film.»

Comme souvent au panthéon des grands récits, «Reinas» est conté à hauteur d’enfants. Luana Vega interprète Aurora, et Abril Gjurinovic le personnage de la plus jeune sœur Lucía. Les formidables prestations des deux actrices, l’une très enthousiaste à l’idée de retrouver son père, l’autre plus prudante, nous permettent en effet de naviguer cette histoire avec des émotions en pendule, et qui se chamaillent l’une l’autre dans un charmant dialogue sur l’enfance. Klaudia Reynicke nous en parle.

«Le fait que moi, je sois parti à 10 ans, et qu’après, je sois pas mal retourné au Pérou jusqu’à l’âge de 14 ans, ce sont finalement les deux âges dont je me souviens et qui m’ont beaucoup marqué. Lorsque j’avais 10 ans, le contexte, les autres, tout ça m’était bien égal. Tout ce que je voulais, c'était ma mère, mes parents. Après, ce que je voulais, c'était faire la fête avec mes cousines. J’étais complètement sur autre chose, alors que le contexte était toujours le même. Elles sont dans deux mondes différents. Cette dualité raisonnait vraiment avec quelque chose que j’avais vécu.»

«Klaudia Reynicke» sur «Reinas»: «Je voulais parler de l’intensité du départ»
Abril Gjurinovic et Luana Vega dans le taxi rouge du père © Filmcoopi

Au volant de son emblématique Lada rouge, l’acteur Gonzalo Molina emmène ses filles à la plage et parade au gré de qui veut bien l’entendre. Il dit être acteur, agent secret, entrepreneur dans la sécurité et prétend parler quechua. Les paroles fusent et les mensonges peut-être un peu aussi. Et la vérité dans tout ça? Qu’importe, Klaudia Reynicke nous invite à l’innocence. L’acteur devient alors cet outil narratif qui nous permet de voyager dans la pluralité des paysages de Lima des années 90. Des décors recréés sur la base d’un documentaire.

«Il y a des gens qui me disent, mais t'as pas un peu forcé la main sur les Ladas et les Coccinelles? Je leur dis d’aller sur YouTube et de regarder quelques minutes du documentaire «Métal et mélancolie» de Heddy Honigmann, dont je me suis inspiré de pas mal de scènes. C'est un documentaire qui a été fait dans les années nonante. C’est une Péruvienne. Elle est décédée aujourd’hui (ndlr : en 2022) et comme il y avait plus de boulot, tout le monde faisait taxiste. Alors, elle s’installait dans la voiture des taxis. Et voilà, c'est le documentaire. Les Ladas, les Coccinelles, les voitures ont leur identité. Il me semblait que Carlos était plus une Lada (rires), et qu'Elena était plus une Coccinelle.»

Enfin, nous ne pouvions conclure cet entretien sans parler de l’immense actrice espagnole Susi Sánchez. Connue au cinéma pour ses rôles chez Ramón Salazar («La Maladie du dimanche» lui vaudra en 2019 le Prix Goya de la meilleure actrice), Vicente Aranda ou encore Pedro Almodóvar («La piel que habito»). Grande fan devant l’éternel, Klaudia Reynicke n’en revient le jour où elle accepte, soulignant, dit-elle, la grande qualité de son scénario.

«Très tôt dans le projet, je l’avais envisagé dans le rôle de la grand-mère. Elle est venue à Lima trois jours après avoir gagné son deuxième Goya (ndlr: pour «Lullaby» de Alauda Ruiz de Azúa). C’est la personne la plus modeste, la plus tranquille et la moins difficile. Elle est juste incroyable. Elle est venue après à Lugano pour faire les voix. Elle a mangé la fondue chez moi. C’est une personne extrêmement simple et tellement généreuse. Ça a été magnifique de travailler avec elle.»

Au cinéma le 5 septembre.

Plus d'informations sur «Reinas»

Bande-annonce de «Reinas»

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