Article4. Dezember 2023

Kourtrajmé, l’histoire d’une bande de potes qui conquiert le cinéma

Kourtrajmé, l’histoire d’une bande de potes qui conquiert le cinéma
© GIFF 2023 Mei Fa Tan

Pionniers d’un cinéma qui n’appartient qu’à eux, alors que ses membres étaient de passage au dernier festival de Genève, retour sur la formidable aventure du collectif Kourtrajmé.

(Un article de Kilian Junker)

Créé en 1994 par Kim Chapiron, Toumani Sangaré et Romain Gavras, Kourtrajmé est un collectif d’artistes dans le milieu de la création visuelle. Connu pour leurs œuvres individuelles autant que collégiales, le collectif s’est entouré de nombreux artistes tels que Vincent Cassel ou encore Mathieu Kassovitz. Réunis au GIFF (Geneva International Film Festival) pour leur discerner le prix Geneva Award, c’est l’un des plus jeunes de la bande qui fait l’actualité aujourd’hui. En effet, Ladj Ly y présentait également son nouveau long-métrage «Bâtiment 5» sortant en salles le 6 décembre. Voilà donc les reflets de leur masterclass genevoise, où les coups d’éclats du collectif seront évoqués, ainsi que la question de leur relève et de l’évolution de Ladj Ly au sein de Kourtrajmé.

L'effervescence des débuts d’internet

«Kourtrajmé, c’est une envie de se retrouver entre potes (…) au moment où la vidéo se démocratisait». Pour décrire les débuts de Kourtrajmé, Kim Chapiron évoque une simple envie de se rassembler entre amis pour filmer ce qui leur passait par la tête. Une «histoire de famille» favorisée par l’arrivée quasi-simultanée des caméras bon marché et des premiers iMac, leur permettant d’éditer et de créer des effets basiques sans avoir la moindre connaissance dans le domaine. Koutrajmé est donc né au bon moment, mais aussi dans un monde pauvre en contenu : «nos premières petites histoires ont eu tout de suite un public (sur des plateformes globalement) vides». Un état de fait qui a bien changé aujourd’hui, où nous sommes assaillis de créations audiovisuelles du matin au soir. D’où le conseil du réalisateur lorsqu’on l’interroge sur les conseils qu’il prodiguerait aux nouveaux cinéastes : «faites quelque chose de différent».

Le clip : du cinéma mini-format

Romain Gavras, le cinéaste du récent «Athena», avoue avoir adoré collaborer avec des groupes de musique pour la réalisation de leurs clips. Un medium qui leur a non seulement permis d’élargir leur cercle de spectateurs, mais aussi «d’avoir un impact presque plus important qu’un film» par la diffusion massive de ces vidéos. Et Toumani Sangaré d’ajouter l’effet «bande» qui entourait leur travail, où ils faisaient tout ensemble. «On était animé uniquement par le désir de déconner», confessent-ils lorsqu’ils sont questionnés sur leur envie de faire carrière dans le cinéma.

Kourtrajmé, l’histoire d’une bande de potes qui conquiert le cinéma
«Athena» du cinéaste Romain Gavras © 2021 Netflix, Inc. - Kourtrajmeuf Kourtrajme

Ladj Ly et le cop-watching

Après avoir rencontré Romain Gavras en camp de vacances, Ladj Ly intègre le collectif, mais plutôt devant la caméra que derrière. «Je découvrais un univers que je ne connaissais pas du tout», avoue-t-il, tout en se rendant compte après le tournage de «Sheitan» que l’acting n’était pas réellement ce qu’il souhaitait faire. À 17 ans, il achète alors sa première caméra et puisqu’il «habite dans un quartier assez difficile», il ramène très rapidement des images marquantes jusqu’à se spécialiser dans le cop-watching. Une habitude qui va changer sa vie puisqu’il va très tôt filmer une bavure policière. «Il y avait un vrai dilemme : la sortir ou pas. J’ai reçu énormément de pressions, des policiers m’ont appelé». Et finalement, sous les conseils de Costa-Gavras (éminent cinéaste et père de Romain Gavras), la vidéo est partagée : pour la première fois en France des policiers sont condamnés suite à la diffusion de ce genre d’images.

Les documentaires comme moteur

«Je suis passé du documentaire à la fiction», résume-t-il pour décrire son début de carrière en tant que réalisateur. En effet, avant «Les Misérables», Ladj Ly réalise une série de documentaires : «365 jours à Clichy-Montfermeil», «365 jours au Mali» ou encore «À voix haute : La Force de la parole». Et de cette approche-là, il va lentement glisser vers la fiction avec le court-métrage «Go Fast Connexion». Il utilisera alors toute l’expérience acquise lors de ces années pour l’injecter dans son futur travail fictionnel. Ainsi, «Les Misérables» puise l’essence même de son histoire dans le rapport du jeune Ladj Ly avec la police, tout comme «Bâtiment 5» garde, lui aussi, une importante attache avec les réalités sociales qu’il côtoyait dans le quartier où il a grandi.

De Clichy-sous-Bois à New-York

Voilà les mots de Nabil Zerfa, directeur de la première école Kourtrajmé fondée en 2018 sous l’impulsion de Ladj Ly. «Ladj est venu me voir en me disant qu’il voulait créer une école», alors que lui-même n’en fréquentait pas les bancs, ironise Nabil Zerfa, avant de rappeler combien l’idée de Ladj Ly d’inscrire les métiers du cinéma dans les mouvements d’éducation populaire était novatrice. Et très rapidement, le nombre d’inscriptions explose pour cette école gratuite, créant ainsi des frustrations des deux côtés : une dizaine de places disponibles pour plus de 2000 candidats ! Heureusement, ce succès a fait des émules avec l’ouverture de nouveaux établissements à Marseille, en Guadeloupe ou encore, bientôt, à New-York ! De quoi assurer la relève…

Kourtrajmé, l’histoire d’une bande de potes qui devient aujourd’hui le carcan d’un bouillonnement créatif fou et d’une envie de transmission palpable. Une raison de plus de suivre le travail de ces jeunes recrues – plusieurs courts-métrages issus des promotions de nouveaux élèves étaient proposés au GIFF – et de (re)découvrir les films des différents membres fondateurs, dont le récent «Athena» de Romain Gavras, «Le Jeune Imam» de Kim Chapiron et «Bâtiment 5» (à partir du 6 décembre au cinéma) de Ladj Ly.

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