Critique12. Juni 2020 Theo Metais
Netflix : «Da 5 Bloods» - Masterclass d’histoire et de cinéma selon Spike Lee
Ruée vers l’or au milieu des ruines de la guerre du Vietnam; quand 4 vétérans Afro-Américains retournent dans la jungle de leurs batailles pour exorciser démons et trésors, le nouveau film de Spike Lee dévoile une leçon de cinéma et d’histoire afro-américaine. Un film d’anthologie à découvrir dès aujourd'hui sur Netflix.
Ils étaient 4, jadis, 4 soldats Afro-Américains dans la jungle vietnamienne, fantassins d’une guerre immorale, gardiens de la “dite” grandeur américaine. Fusils à l’épaule, Paul (Delroy Lindo), Otis (Clarke Peters), Eddie (Norm Lewis) et Melvin (Isiah Whitlock, Jr.) se sont battus pour ces fameux États-Unis à l’heure où Martin Luther King se faisait descendre. Les voilà aujourd'hui de retour au Vietnam pour rapatrier les os de leur ancien chef d'escadron (Chadwick Boseman) et des lingots d’or enfouis. Et alors que David (Jonathan Majors), le fils de Paul, rejoint l’expédition, les fantômes du passé ressurgissent avec les horreurs momifiées de la guerre.
Après son époustouflant «BlacKkKlansman», celui qui devait cette année présider le festival de Cannes débarque aujourd’hui sur la plateforme Netflix avec un long-métrage d’une force historique imparable. Après Martin Scorcesse ou Noah Baumbach, Spike Lee débarque lui aussi chez le géant du streaming et signe un hommage non dissimulé aux films «Apocalypse Now» de Francis Ford Coppola et «Le Trésor de la Sierra Madre» de John Houston; mais c'est surtout l’occasion pour le réalisateur de saluer les soldats Afro-Américains envoyés à l'abattoir de la guerre du Vietnam. Alors qu’ils composent 11% de la population américaine à l'époque des faits évoqués, ils représentent 32% des forces engagées sous les pluies d’"agent orange". Spike Lee règle ses comptes avec l’histoire.
«Spike Lee percute à grands coups de cinéma»
Dès son ouverture magistrale sur «Inner City Blues» de Marvin Gaye, les mots de Muhammad Ali, Angela Davis, Bobby Seal et Malcom X accompagnent un kaléidoscope d’horreurs à l’heure où une nation a les yeux tournés vers la lune. Mélanges d’archives, massacres et violences policières ouvrent «Da 5 Bloods». «L'Amérique a déclaré la guerre aux Noirs» entendra-t-on. À quelques mois d’une présidentielle américaine embourbée dans l’ingérence de la crise du coronavirus et l'assassinat de George Floyd par le policier Derek Chauvin, le réalisateur est au diapason avec l’actualité. Spike Lee percute à grands coups de cinéma, encore et toujours!
Frères d’armes un jour, frères d’armes... toujours. 4 vétérans retrouvent la jungle houleuse du Vietnam pour déterrer un trésor et leur ancien chef d'escadron. Dès lors, les formats 4:3 et 16:9 balayent l’écran et traversent la mémoire de chacun pour nous faire (re)vivre l’enfer d’hier. Porté par un Delroy Lindo absolument magistral, c’est par son personnage Paul que le drame se profile, rongé par les remords et avide comme un fou épuisé par le Far West et la ruée vers l’or. La quête des 4 soldats aux abords de Saigon mêle les genres et les envolées bibliques. La dévotion du groupe pour leur ancien chef d’escadron est métaphysique, «C’était notre Malcom X, notre Martin Luther King» entendra-t-on.
«Chadwick Boseman rayonne de sa présence fantomatique...»
Alors il y a beaucoup à déterrer au Vietnam et il faudra compter sur l’aide semi-précieuse d’un banquier véreux incarné par Jean Reno qui se glisse au casting pour rapatrier l’or. Mélanie Thierry, elle, incarne cette jeune activiste française, à l’histoire familiale douteuse, en charge du déminage des sols au Vietnam. Elle s’accompagne d’ailleurs des comparses Jasper Pääkkönen et Paul Walter Hauser (membres du KKK dans «BlacKkKlansman»). Avec sa casquette «Make America Great Again», figure controversée et père en dilettante, le personnage de Delroy Lindo est à l’image de ses frères à l’écran, intense, foudroyant, même le «Black Panther» de Marvel Chadwick Boseman rayonne de sa présence fantomatique en flash-back. Son accolade avec Paul au milieu d’un songe est à tomber!
Porté par les paroles de Marvin Gaye et les partitions de son compositeur de toujours Terence Blanchard, le scénario écrit par Danny Bilson, Paul De Meo, Kevin Willmott et Spike Lee révèle un sens inné de la narration et injecte de l’histoire dans chacune de ses strates. On pense à l’évocation du soldat Milton Olive au détour d’une conversation sur les héros au cinéma (18 ans et premier soldat Afro-Américain à recevoir la fameuse Medal of Honor), ou l’émouvante discussion autour du sportif d’Edwin Moses (deux fois médaillés d’or pour le 400m haies) alors que David a le pied sur une mine.
«Une masterclass d’histoire et de cinéma...»
Si «Da 5 Bloods» est une fresque époustouflante et magnifiée par la photographie du grand Newton Thomas Sigel, elle est aussi et surtout une œuvre didactique. Une œuvre nécessaire à l’heure où le monde pose un genou à terre. Une œuvre à la croisée des genres qui aurait dû être présentée Hors Compétition cette année au Festival de Cannes et privée de son ovation en raison de la crise sanitaire. «Da 5 Bloods» est une masterclass d’histoire et de cinéma. À découvrir de toute urgence!
4,5/5 ★
«Da 5 Bloods» est à découvrir dès aujourd'hui sur Netflix.
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