Critique8. Februar 2021 Camille Vignes
Netflix: «Malcom & Marie» - L'euphoria destructrice
Avant de lancer la deuxième saison d’«Euphoria», certainement l’une des séries les plus profondes du moment, l’une des plus esthétisées aussi, Sam Levinson a nourri son imaginaire du confinement et des règles de distanciation sociale de l’entrée dans cette nouvelle décennie, imaginant un huis-clos intime, balayé des bourrasques d’amour et de haine, de frustration et d’admiration qui se déchaînent une nuit, au sein d’un couple. Une intention artistique forte, un clair-obscur en deux teintes, filmé en 35mm, habité de deux âmes furieusement talentueuses, Zendaya et John David Washington.
«Malcom & Marie» raconte l’histoire de ce couple éponyme, elle est ancienne toxicomane, lui est un cinéaste montant, les deux rentrant de l’avant-première du long-métrage de ce dernier. Enthousiasmé par sa soirée et par les premiers retours du public et des journalistes, il attend que les critiques tombent — s’amusant avant même de les lire de ce qu’il s’imagine découvrir. Mais à la chaleur revigorante d’un papier exalté se substitue la fièvre d’une soirée qui dérape, qui échappe au couple à mesure que le duo questionne sa relation, s’aime et se déchire, règle ses comptes sur cette relation, et sur tout ce qu’elle charrie.
Dès son ouverture, ou presque, dès son premier plan séquence, l’œil de la caméra fixe sur sa pellicule deux êtres, deux personnalités mises à distance l’une de l’autre par le cadre, le scénario, la mise en scène. Une scène de couple en apparence banale, elle fume sa cigarette dehors, immobile, lasse de soirée, il se déchaîne à l’intérieur, un verre à la main, tout en égo-trip et en diatribe sur les critiques lèche-bottes rencontrées lors de la soirée. Mais rien qu’avec cette scène, se dessine déjà les cernes de l’implosion à venir. Les stigmates de leur histoire sont déjà là, ils s’ouvrent et saignent de douleurs et de frustrations, de jalousie et de détestation, d’amour et d’admiration.
Zendaya, virtuose dans son rôle comme rarement elle l’a été...
La nuit avance au gré des sentiments éreintants de Malcolm et Marie, au gré de leurs interactions et de leurs réactions. Ses heures s’égrènent toujours plus intimes, sublimées par la photographie de Marcell Rév, les jeux de cadrages et de reflets de Levinson, son choix du noir et blanc (esquivant les pièges du réalisme), son talent de direction d’acteurs et les performances stupéfiantes de Zendaya et John David Washington. Tout excessif que soit Malcolm, et aussi juste et vraie qu’en soit l'interprétation de Washington, ces quelques heures harassantes trouvent toute leur saveur en Zendaya, virtuose dans son rôle comme rarement elle l’a été.
Mais «Malcom & Marie» ne s’arrête pas là, il suinte par tous ses pores des grandes questions de notre époque. Entre les sentiments des deux personnages, entre les moments suspendus, ces lenteurs qui les laissent presque par pitié reprendre leur souffle et les brusques emportements, le métrage parle d’aujourd’hui, de l’état contemporain du cinéma, et de ce qu’il cristallise des rapports sociaux actuels.
Des monologues d’une force inouïe...
À travers Malcolm, il pose la question de la légitimité — légitimité à créer un film noir quand on est blanc par exemple. Il pose la question de l’appropriation, de l’impossibilité aujourd’hui de ne pas servir un énième sermon politique, alors même que Me Too, les théorisations sur le male gaze ou encore le mouvement Black Lives Matters poussent nos sociétés à questionner leurs limites, à redéfinir les codes de leurs œuvres. Souvent sous-jacente, la question de l’intention de l’artiste, de la création et du mystère qui l’entoure explose dans des monologues d’une force inouïe, aussi brutale que la violence que les deux sont capables de déverser l’un sur l’autre, sans que jamais la forme ou le fond ne fassent autre chose que se servir l’une l’autre.
4,5/5 ★
Disponible dès maintenant sur Netflix
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