Critique16. November 2018 Theo Metais
NETFLIX - «The Ballad of Buster Scruggs» - Il était une fois dans l’Ouest selon les frères Coen
Après «Suburbicon», dernier coup de caméra des frères Coen au cinéma en 2017, le duo oscarisé signe avec «The Ballad of Buster Scruggs» son nouveau long-métrage. Récompensé à Venise pour son scénario, ce qui devait être une mini-série deviendra un film à sketches, un western burlesque au coeur sombre et découpé en six fables.
The Ballad of Buster Scruggs, Near Algodones, Meal Ticket, All Gold Canyon, The Gal Who Got Rattled, The Mortal Remains; voilà les six feuillets choisis par les deux frangins pour nous conter une histoire de la conquête de l’Ouest. Tim Blake Nelson se couvre d’un blanc chapeau, le vagabond s’est fait élégant pour chanter et flinguer à tous vents. James Franco dépouille les petits employés de banque avant que sa fortune ne disparaisse à son tour. Liam Neeson est un salaud du cirque ambulant, Tom Waits un effronté vieillissant et chantant de la ruée vers l’or bref, le casting est cinq étoiles.
Chez les Coen, la morale est amère car (presque) toujours fauchée par le sort. The Ballad of Buster Scruggs n’est sans doute pas la plus acerbe, ni la plus sardonique de leur farce mais elle profite d’une noble dramaturgie du grand Ouest. Les acteurs oscillent entre des silences infâmes (Liam Neeson), une précision comique exceptionnelle (Tim Blake Nelson, Stephen Root), une retenue exemplaire (Zoe Kazan) et des performances plus en dilettantes (James Franco). La palme revient sans doute à un Tom Waits extrêmement touchant, brinquebalant dans un chapitre interprété en solitaire face à la nature (humaine). Il restera une réplique sans doute: alors que la pioche est devenue une enclume pour le chercheur d’or, il nargue et tutoie la montagne, comme un défi avec le temps : I’m old but you’re older !
Fidèle aux frangins, The Ballad of Buster Scruggs est une fable musicale portée dès l’ouverture par l'excellent Tim Blake Nelson et le folksinger Willie Watson. Les frères Coen reprennent ici leur collaboration avec le français Bruno Delbonnel, nominé à l’Oscar pour le précédent Inside Llewyn Davis (ou plus récemment pour Les heures sombres), et signe ici une photographie moins brutale que son compatriote francophone Benoît Debie sur Les Frères Sisters (autre western présenté cette année à Venise). Elle trouvera néanmoins des instants d’une beauté drastique quand elle effleure le désespoir d’un infirme interprété par Harry Melling.
Tendres, abruptes, romantiques, métaphysiques, gothiques; si les six fables inventées par les frères Coen sont peut-être inégales individuellement, The Ballad of Buster Scruggs révèle une magie indéniable au tomber de rideau. Une tradition du vaudeville, de l’absurde à la Beckett, une noirceur, une pudeur et une délicatesse; jusque dans un plan final, les réalisateurs nous parlent de la mort et de ses affluents. The Ballad of Buster Scruggs est une parabole en six actes conclut à la morgue du seigneur. En chemin certains se sont rués vers l’or, d’autres se sont entretués et de vaillants rêveurs ont même essayé de s’aimer.
3.5 / 5 ★
«The Ballad of Buster Scruggs» est disponible dès maintenant sur Netflix.
Vous devez vous identifier pour déposer vos commentaires.
Login & Enregistrement