Critique21. September 2021 Theo Metais
«Notturno» - Kaléidoscope silencieux d’une horreur infinie
En lice pour représenter l’Italie à l’Oscar du meilleur film étranger en 2021, Gianfranco Rosi, réalisateur notamment du très acclamé documentaire Fuocoammare, signe une nouvelle œuvre crépusculaire, filmée durant trois ans le long des frontières des conflits au Moyen-Orient. Un documentaire qui explore dans un silence assourdissant le récit d’une violence infinie.
Tourné pendant trois ans entre la Syrie, l'Irak, le Kurdistan et le Liban, Gianfranco Rosi a suivi quelques personnes qui vivent à proximité des zones de guerre et qui tentent malgré l’horreur de continuer leur vie, sinon de la recommencer. La caméra devenant le témoin privilégié de ces récits intimes et déchirants, recueillant çà et là, les confessions d’un enfant qui raconte le génocide des Yézidis en Irak, aux côtés d’une mère qui écoute sur WhatsApp les confessions de sa fille retenue par les membres de l'État islamique, ou filmant au Kurdistan cette mère dans la cellule où son fils fut torturé et tué.
Certainement l’un des grands faiseurs de documentaires, capable d’un dévouement exemplaire pour ses sujets et d’une retenue magnifique pour les conter, Gianfranco Rosi n’est pas de ces cinéastes qui bavardent. Explorant les individualités qui bercent l'autoroute italienne A90 (Grande Raccordo Anulare, GRA) dans «Sacro Gra» en 2013, ou sur les berges de la crise migratoire à Lampedusa dans le désormais célèbre «Fuocoammare», Ours d’or à Berlin en 2016 et nommé à l’Oscar du meilleur documentaire en 2017, chez Rosi, le silence est d’or et les histoires médusent, levant chaque fois le voile sur les sourdes réalités de notre temps : cryptiques, bouleversantes, insoupçonnées, révoltantes.
«Notturno» pourrait bien vous couper le souffle.
Ultime kaléidoscope d’une région en crise, «Notturno» nous plonge au Moyen-Orient où depuis la chute de l’Empire Ottoman et la fin de la Première Guerre mondiale, le déploiement des colonies et des intérêts pétroliers creusent le lit de la guerre, de l’ingérence internationale et de l’islamisme radical et armé. Sur les terres brûlées de cette géopolitique étouffante, Gianfranco Rosi pose sa caméra, observe son monde et les crises qui le rongent, et cristallise un diaporama silencieux d’une réalité assommante. Composé de plans aussi vertigineux que la réalité qu’ils dépeignent, les mots se dérobent ; «Notturno» se meut de saynètes, un «documentaire-tableau» visuel et sonore, qu’il faudra apprivoiser, observer et écouter.
Ici la guerre se raconte dans les paroles du tambourineur de rue, dans les bégaiements de cet enfant yézidis, au milieu des ruines, des tranchées, dans les flammes à l’horizon, dans le visage de ces femmes peshmergas, dans les yeux rédempteurs d’un jeune garçon, dans les répétions pour cette pièce de théâtre ou dans ces prisons qui tentent de contenir la haine intégriste. Couvrez cette réalité que vous ne sauriez voir… Gianfranco Rosi contemple le Moyen-Orient avec un aplomb imperturbable, une éloquence visuelle lumineuse et parsème sa pellicule de quelques notes d’espoir lorsque retentit «Mawtini», poème palestinien adopté comme hymne national en Irak après la chute du régime de Saddam Hussein. Pour sa force narrative et sa puissance journalistique, «Notturno» pourrait bien vous couper le souffle.
4/5 ★
Le 22 septembre au cinéma. Plus d'informations sur «Notturno».
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