Article25. Oktober 2023 Cineman Redaktion
Martin Scorsese, le cinéma comme élixir de jouvence
À l’occasion de la sortie de «Killers of the Flower Moon» au cinéma, passons au crible et replongeons-nous dans la carrière édifiante de Martin Scorsese. Coup de projecteur !
(Article de Christopher Diekhaus, traduit et adapté de l’allemand par Eleo Billet)
Martin Scorsese fêtera ses 81 ans le 17 novembre 2023 – et la retraite attendra. Selon IMDb, le cinéaste travaillerait sur quatre nouveaux projets en tant que réalisateur. Parmi eux, un biopic sur Theodore Roosevelt, avec l’une des stars fétiches de Scorsese, Leonardo DiCaprio, dans le rôle du président. L’acteur oscarisé tient également le premier rôle dans «Killers of the Flower Moon», financé par Apple, et à voir en salle avant sa diffusion en streaming. Entre western et drame historique, cette œuvre true crime rappelle au monde les assassinats des natifs Osage. Elle donne l’occasion de revenir sur la carrière, le style et les thèmes d’un des plus grands cinéastes américains de sa génération.
Du séminaire aux plateaux de tournage
C’est à Little Italy que naît, en 1942, Scorsese, qui y grandit dans une famille catholique sicilienne. Tiraillés entre la foi et la violence, les immigrés italiens vivent dans ce quartier new-yorkais sous la double influence de l’église et de la mafia. Ne pouvant s’évader dans les rues en raison de son asthme, le jeune Scorsese s’ouvre au monde via les salles de cinéma. Il commence alors à écrire ses propres histoires, s’inspirant des films qu’il visionne. Bien qu’il se destine, adolescent, à devenir prêtre, l’échec dans sa formation précoce au séminaire le détourne de cette vocation et il entame des études, puis une carrière, dans le cinéma.
Bande-annonce de «Silence»
Certes critique envers le catholicisme à partir de la fin des années 60, le réalisateur continue à imprégner ses œuvres de la foi, au-delà d’une seule religion. En 1988, sort ainsi «La Dernière Tentation du Christ» où Scorsese met en scène Jésus en proie au doute et au désir charnel. Ce film fera d’ailleurs l’objet de controverses (attentats, menaces et censure). Plus récemment, en 2016, Scorsese présente avec «Silence» une méditation sur les convictions religieuses, et les persécutions qui s'ensuivent, ici au Japon.
À la fin de ses études, et après un premier film, Scorsese est pris sous l’aile du légendaire producteur de films d’exploitation Roger Corman. Le jeune cinéaste devient ensuite, aux côtés de ses contemporains, tels Francis Ford Coppola, Robert Altman, William Friedkin ou encore Michael Cimino, un représentant du Nouvel Hollywood. Ce courant américain d’un peu plus d’une décennie bouscule les conventions narratives des genres bien établis et offre une liberté visuelle renouvelée aux artistes, influencés par le cinéma d’auteur européen (Nouvelle Vague française, néoréalisme italien). Ces nouvelles œuvres, comme «Taxi Driver» (1976), sont ainsi radicalement personnelles.
Les gangsters, toujours les gangsters
Avec «Mean Streets» (1973), Scorsese met en lumière la lutte pour la survie dans son quartier Little Italy. Il y examine, pour la première, mais pas la dernière fois, la figure du gangster, du mafioso, et les us de ce milieu criminel. Ce film passionne et à raison. D’une part, «Mean Streets» (1973) regorge de détails authentiques de la jeunesse du réalisateur, d’autre part, le réalisme cru du film est contrebalancé par son expressionnisme et son inscription dans la perpétuation du mythe du gangster américain au cinéma.
Bande-annonce de «Mean Streets»
Dès lors, la fascination et les variations de Scorsese autour des hommes du mauvais côté de la loi deviennent une constante de sa filmographie. Des «Affranchis» (1990), «Casino» (1995), «Les Infiltrés» (2006) à son avant-dernier film «The Irishman» (2019), Martin Scorsese se passionne pour le crime organisé, l’ascension et surtout la chute des acteurs criminels. «Killers of the Flower Moon» (2023) ne fait pas exception puisqu’il suit notamment le personnage de William Hale, interprété par Robert De Niro, baron du bétail et perfide manipulateur, qui orchestre les assassinats des natifs Osage, ceux qu’il dit être ses amis, pour leur pétrole.
Plus indissociable encore des gangsters, dans le cinéma de Scorsese, est la violence, généralement fatale lorsqu’elle explose suite à la colère, la haine, l’envie ou encore la résignation. Dans le cauchemar urbain «Taxi Driver» (1976), une étude de personnage sur un vétéran du Vietnam instable psychologiquement, la folie meurtrière se fait surréaliste par la mise en scène. D’ailleurs, il n’est pas rare que Scorsese inscrive cette violence dans le contexte historico-politique des États-Unis.
Ainsi, «Gangs of New York» (2002) décrit la lutte sanglante pour le pouvoir, au milieu du 19e siècle, dans le bidonville de Five Points à New York. De même, «Killers of the Flower Moon» (2023) choisit de mettre en avant le génocide, souvent occulté dans les westerns classiques, des natifs américains par les colons blancs. Le film reconstitue ainsi une série de meurtres en particulier, motivés par la cupidité.
Des hommes, seuls, contre tous
Typique également du cinéma de Scorsese est sa marginalisation des personnages féminins. Cette nouvelle fresque ne fait pas mieux, en dépit du personnage de Mollie. En effet, chez Scorsese, les femmes ne sont pas sans importance dans l’intrigue, mais servent principalement le narratif des protagonistes masculins. Car l’œuvre du cinéaste est marquée avant tout par les hommes, instables, dont l’identité est fragilisée, et qui sont en quête de repères pour s’élever.
Bande-annonce de «La Valse des pantins»
Prenons pour exemple le vétéran Travis Bickle dans «Taxi Driver» (1976), qui se fantasme en héros parce qu'il ne parvient pas à s’intégrer dans la société. Ou encore Rupert Pupkin, comique en herbe dans «La Valse des pantins» (1983), qui, par vanité, kidnappe son idole pour percer. Finalement, Ernest Burkhart (Leonardo DiCaprio) dans «Killers of the Flower Moon» (2023) revient de la Première Guerre Mondiale dans un monde qui ne l’a pas attendu. Il saisit alors la proposition de son oncle, William Hale, de l’établir, tandis que ce dernier exploite sa naïveté pour s’enrichir.
Des personnages aux interprètes, il n’y a qu’un pas. Très tôt dans sa carrière, l’Italo-Américain se démarque en tant que directeur d’acteurs. Il laisse ainsi à ses comédiens la possibilité d’improviser et noue avec certains, qui deviennent ses collaborateurs réguliers, une relation quasi-symbiotique. Ainsi, Robert De Niro devient indissociable de la filmographie du réalisateur dès les années 70, avec notamment sa performance saisissante dans «Raging Bull» (1980). Depuis les années 2000, Scorsese accorde sa confiance à DiCaprio, dont c’est la sixième participation aux films du réalisateur.
La mise en scène de «Killers of the Flower Moon» (2023) révèle une autre préférence de l’artiste : une réalisation fluide et rarement statique. En effet, la caméra tourne et se glisse avec aisance dans la foule. Parfois, la caméra semble ne jamais s’arrêter, comme c’est le cas dans «Le Loup de Wall Street» (2013), une satire autour de la bourse et de l’escroc Jordan Belfort, dont le train de vie est un spectacle continu et effréné.
Défenseur du cinéma
Scorsese ne tait jamais son amour du cinéma et le rappelle fréquemment dans ses films ou en interview. Son «Shutter Island» (2010) s’inspire bien sûr des plus grandes œuvres du cinéma d’horreur et à suspense. Feu d’artifice visuel, «Hugo Cabret» (2011) rend hommage au pionnier des effets pratiques Georges Meliès et au medium visuel lui-même.
Bande-annonce de «Hugo Cabret»
Même «Killers of the Flower Moon» (2023) choisit plusieurs fois pour décor une salle de cinéma. Dans ses documentaires, «Mon voyage en Italie» (1999) en tête, Scorsese revient sur ses inspirations et sur l’histoire du cinéma avec passion et pédagogie. Et ce n’est pas étonnant qu’il soit aujourd’hui connu pour sa contribution à la préservation et la distribution de pépites méconnues ou oubliées.
Aussi, ses opinions sur le 7e art ne laissent personne de marbre. Et sûrement pas les fans de Marvel, dont Scorsese qualifie les films de «parcs d’attractions». Peut-être l’artiste oubliait-il que le cinéma est né comme divertissement dans les foires pour la foule curieuse. Mais l’idée d’un monde dominé par les films de super-héros, où les œuvres ambitieuses, sans manichéisme et à la réalisation virtuose, n’auraient plus leur place serait une tragédie. Puisse Martin Scorsese continuer à réaliser pour encore de nombreuses années !
«Killers of the Flower Moon» est à découvrir depuis le 18 octobre au cinéma.
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