Interview6. März 2019 Sven Papaux
Safy Nebbou : « Il y a déjà des discussions pour un remake américain »
Une femme de 50 ans, divorcée, se lance dans une relation virtuelle avec un jeune homme de 24 ans. Avec « Celle que vous croyez », Safy Nebbou adapte le roman de Camille Laurens, pour offrir un rôle complexe et magnifique à Juliette Binoche, dans la peau d’une femme empêtrée dans un thriller amoureux aux accents romanesques. Le sympathique et talentueux cinéaste français nous en parle plus en détails.
Avec « Dans les forêts de Sibérie », vous réalisiez un film très vrai, avec un homme livré à lui-même face à l’âpreté de Mère Nature. Cette fois-ci, vous dressez le portrait d’une femme dans une fausse réalité, dans un univers virtuel qui a tout de faux. Un grand écart voulu ?
Safy Nebbou : Ce n’est pas parce que c’est virtuel que c’est faux. Vous remettriez en cause toutes les relations que les gens peuvent avoir sur les réseaux sociaux. On peut très bien avoir des sentiments réels par le biais du virtuel. Cela dit, quand vous passez d’un film contemplatif à un film surconnecté au monde, c’est certain qu’après « Dans les forêts de Sibérie », je voulais du changement, partir vers des thématiques complètement différentes. J’avais le souci de sortir de ma zone de confort, une manière aussi de se mettre en danger. Je n’ai pas envie de me spécialiser dans un genre, je veux varier en tant que cinéaste. Mon précédent film se focalisait sur un scénario très linéaire, alors que celui-ci est un script articulé en poupées russes. On est plus proche d’Hitchcock que de Tarkovski.
On est plus proche d’Hitchcock que de Tarkovski.
Vous prenez le roman d’une femme, Camille Laurens, vous mettez en scène une femme, Juliette Binoche, est-ce que pour vous la mise en danger n’était pas de se glisser dans la vision de plusieurs femmes ?
Pour moi, le risque était dans cette structure narrative éclatée, complexe, à tiroirs. C’est casse-gueule, tout comme « Dans les forêts de Sibérie ».
Était-ce plus casse-gueule avec « Dans les forêts de Sibérie » ?
Dans un genre différent. « Celle que vous croyez » a ces nombreux va-et-vient et il est difficile de tout suivre. Plusieurs personnes m’ont dit que c’était inadaptable. Il a fallu faire un gros travail d’écriture.
Vous avez pris 2 ans pour l’écrire, est-ce exact ?
J’ai dû trouver une structure scénaristique qui rende la force du roman. Il a fallu doser, voire dépasser la mécanique scénaristique pour brosser un portrait de femme. J’ai beaucoup été touché à la lecture par le personnage de Claire. J’ai beaucoup aimé la dimension de solitude, d’abandon et ludique. Il y a quelque chose de très captivant dans l’usurpation d’identité.
Il y a quelque chose de très captivant dans l’usurpation d’identité.
Vous avez cette faculté à magnifier vos figures principales. Votre direction d’acteurs est très précise. Je pense à l’excellente performance de Catherine Frot dans L’empreinte de l’ange, ou plutôt l’empreinte…
Oui, il y a eu procès. On l’avait gagné en première instance. D’ailleurs, les Américains et les Australiens en ont fait un remake, avec Noomi Rapace. Le film est produit, mais je ne l’ai pas encore vu. D’ailleurs, il y a déjà des discussions pour « Celle que vous croyez » aux États-Unis et en Chine pour un remake.
Il y a déjà des discussions pour « Celle que vous croyez » aux États-Unis et en Chine pour un remake.
Si nous revenons à votre direction d’acteur, pourrait-on dire que cette maîtrise dont vous faites preuve vous vient de votre frère Mehdi Nebbou (Munich) ?
J’ai été acteur moi-même et le théâtre m’a beaucoup aidé avant de me mettre au cinéma. J’ai toujours eu le goût des acteurs. J’aime me connecter avec les comédiens.
Quel rapport entretenez-vous avec les réseaux sociaux ?
(Il soupire) J’ai longtemps résisté à tout. J’ai maintenu une distance. Aujourd’hui, c’est trop chronophage. J’ai l’impression que ce film a encore accentué cette sensation chronophage. Dans quelques mois, je vais prendre de la distance avec les réseaux sociaux. Je trouve que c’est démesuré, que je passe trop de temps dessus.
Avez-vous également peur de cette frontière entre le réel et le virtuel, comme Claire, par exemple, qui la transgresse et perd le sens des réalités ?
Pour elle, oui, elle la dépasse. Moi, non. Je ne pourrais par me faire passer pour quelqu’un d’autre. Ça ne me viendrait même pas à l’idée.
Ces femmes qui cherchent à se faire passer pour quelqu’un d’autre, courir après un homme plus jeune, comme Claire, cherchent-elles à masquer une part d’abandon qui sommeille en elles ?
C’est pas réservé aux femmes, c’est pareil pour un homme. Pour une femme de 50 ans, comme Claire, c’est pas simple ce que la société renvoie. C’est plus simple quand on est un homme de 50 ans. C’est injuste.
Vous faites référence à Yann Moix ?
(Rire) Ça fait écho au film, c’est sûr.
La pudeur fait partie de mon désir de cinéma.
Vous mettez un point d’honneur à garder une pudeur dans les scènes de sexe. Elles sont souvent plongées dans l’obscurité, révélant que très peu de nudité. Est-il primordial pour vous de garder votre cinéma pudique ?
La pudeur fait partie de mon désir de cinéma. Tout dépend du projet et du propos du film. Je ne voyais pas l’intérêt d’en faire plus à l’écran. Elle est avant tout dans le fantasme, voire dans la frustration. Elle ne peut pas se développer totalement. Le traitement pudique me semblait bienvenu. Je n’ai pas de point de vue général sur le sexe au cinéma. Intimité (ndlr : sorti en 2001) de Patrice Chéreau, les scènes chaudes sont traitées de manière très crues, mais en totale cohérence avec le projet.
Outre la présence de Juliette Binoche, François Civil est à l’affiche de votre film. Un acteur en pleine bourre et très demandé ces derniers temps. C’est vous qui êtes allé le chercher ?
Oui. C’est mon producteur qui a cité son nom pour le rôle. Quand on s’est rencontrés, ça me semblait évident de le choisir. On a fait des essais ensemble. C’est un acteur magnifique. C’est son année.
Les chiffres enregistrés en France vous conviennent ?
On fait 110’000 pour la première semaine d’exploitation. J’espère que le film fera 350’000 entrées à la fin de son exploitation dans les salles. Bon, c’est pas un échec, mais je m’attendais à mieux pour être franc. J’espérais plus d’entrées, plus d’engouement avec le public. On sent que la presse est positive, que le public répond présent, mais je voyais un plus grand retour populaire.
Bande-annonce :
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