Critique25. Oktober 2021 Emma Raposo
«The French Dispatch» - Défilé de stars pour film désincarné
Labélisé Cannes 2020, c’est finalement cet été que le film a déboulé sur la Croisette en sélection officielle. Trois ans après « Isle Of Dogs », Wes Anderson revient avec un dixième long métrage, « The French Dispatch », un film magistralement réalisé, mais en mal d’émotion.
L’histoire se déroule à Ennui-sur-Blasé, bourgade où il ne se passe logiquement pas grand-chose, dans la rédaction de « The French Dispatch » dirigé par le rédacteur en chef Arthur Howitzer Jr. (Bill Murray). Pour son dernier numéro, les journalistes des rubriques phares du magazine, sillonnant les routes du pays en quête de matière pour leurs articles, racontent tour à tour les récits d’un artiste peintre sous les verrous, d’un chef cuisinier travaillant dans un commissariat, et de deux jeunes étudiants aux prises avec leurs idées politiques. Suite au décès de Howitzer, les reporters sont réunis à la rédaction une ultime fois pour rédiger la nécrologie de ce dernier.
Le dernier long métrage de Wes Anderson est un étendard de toute la maîtrise qu’il a acquise au cours de sa carrière de cinéaste autodidacte. Tous les éléments caractéristiques de son cinéma s’y retrouvent : couleurs saturées, symétrie des cadrages et sujets centrés, atmosphères rétro, musique omniprésente - Alexandre Desplat à l’œuvre ici -, personnages progressant à la façon de pantins et leur phrasé typique du cinéma du réalisateur texan. Tout y est, et plus encore.
Plus « andersonien » qu’Anderson...
Si Wes Anderson n’a clairement plus rien à prouver quant à son savoir-faire, « The French Dispatch » étale avec encore plus d’impertinence que les films précédents la maestria du réalisateur. Son souci, pour ne pas dire son obsession du détail, ses plans et scénarios d’une abondance narrative ahurissante, ses couleurs vives, mélangées également à du noir et blanc et du dessin animé, donneraient presque le tournis. Le tournis nous guette aussi en observant le défilé de stars présentes au casting. Le film détient probablement le record d’actrices et acteurs de renom au mètre carré. Il y a les fidèles parmi les fidèles d’Anderson, et beaucoup d’autres : Bill Murray, Owen Wilson, Tilda Swinton, Timothée Chalamet, Frances McDormand, Benicio Del Toro, Adrian Brody, Jeffrey Wright, Willem Dafoe, Saoirse Ronan entre autres. Le film tourné dans l’Hexagone, à Angoulême, fait aussi la part belle à un casting français costaud : Léa Seydoux, Mathieu Amalric, Cécile de France, Denis Ménochet, Lyna Khoudri, ou Guillaume Gallienne, pour ne citer qu’eux. Pour le dire simplement, même les figurants sont des têtes connues. De quoi affréter un bus pour transporter tout ce petit monde direction le tapis rouge cannois du 12 juillet dernier.
Mais voilà, la plus grande force de Wes Anderson est probablement aussi sa plus grande faiblesse. À force de maîtrise, le film manque cruellement d’âme. Ultra-dense dans son propos et dans ce qu’il propose à voir, à lire, à écouter, et finalement ardu à comprendre et à résumer, « The French Dispatch » enchaîne les saynètes, des histoires dans l’histoire, impressionne par sa qualité visuelle et narrative, mais finit par abandonner le spectateur sur le bord de la route. Plus « andersonien » qu’Anderson, « The French Dispatch », dans son rythme frénétique dépourvu de latence, oublie de dépeindre des personnages incarnés auxquels on pourrait réellement s’attacher. À bout de souffle, on respire enfin à la fin du film, après avoir autant admiré que suffoqué. De la maestria du cinéaste à un récit figé, peuplé de protagonistes vidés de leur substance, on souhaiterait parfois que l’habileté sensationnelle et insolente de Wes Anderson soit au service de plus d’imperfection.
3,5/5 ★
Le 27 octobre au cinéma. Plus d'informations sur « The French Dispatch ».
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