Critique15. September 2022 Theo Metais
Apple TV+ : «Raymond & Ray» - Une comédie noire au chevet du père
Deux demi-frères doivent enterrer leur père. Rodrigo García fait se rencontrer Ewan McGregor et Ethan Hawke dans une étonnante comédie. Un film présenté en avant-première au festival international du film de Toronto.
Il les a croisé individuellement sur les plateaux de cinéma, Ethan Hawke sur «Great Expectations» en 1998 et Ewan McGregor en 2015 pour son film «Last Days in the Desert». Et voilà que Rodrigo García réunit pour la première fois à l’écran ces deux légendes des années 90. Voilà plus de 25 ans qu’ils s'observent mutuellement, les deux acteurs connaissent bien le cinéaste colombien et incarnent pour lui ces deux frères que tout oppose. McGregor devient Raymond, petit employé d’une compagnie des eaux avec quelques divorces à son actif. Et Hawke de ressembler à son incarnation de Chet Baker dans «Born To Be Blue» (2015), trompettiste déchu, ancien héroïnomane, et Don Juan à ses heures perdues.
Ce jour-là, la grande faucheuse ne s’est pas annoncée. C’est arrivé comme ça. «Notre père est mort», ainsi s’entame le long-métrage. La mine basse, les mots sourds, Raymond frappe à la porte de son demi-frère. Il leur faut désormais creuser la tombe de cet être qui les a ruinés. Présenté en avant-première au festival international du film de Toronto, et produit par Alfonso Cuarón (pour qui Rodrigo García a notamment travaillé en tant que caméraman sur «Great Expectations» (1998)), «Raymond & Ray» dévoile des retrouvailles de quelques jours parmi les traumas indicibles du passé.
Naviguant dans leur pick-up, entre le salon funéraire, le cimetière et la demeure de l’ancienne compagne espagnole (Maribel Verdú), les visages défilent, et les souvenirs aussi, qu’ils viennent égrener au chevet de ce cercueil resté ouvert. Des mouvements lents, un swing à contre-courant, une photographie éthérée, parée du bleu de l’automne, embaumée de jazz et à l’orée du film noir. La contrebasse accompagne la haine, la violence des paroles prononcées, le dédain, l’insignifiance et les larmes qui auraient dû couler plus tôt. Faudra-t-il alors s’étonner de voir surgir une arme et des anonymes qui dansent au cimetière. Les langues se délient, ainsi que les énigmes post-mortem.
Une mascarade qui n’est drôle que parce qu’elle est mise en scène pour le cinéma. Deux marionnettes au cirque de leur père, deux êtres antinomiques, néanmoins soudés par le mal-être, l’emprise morale et les abus du père. Il convient désormais de mettre le monstre sous terre, et les funérailles deviennent cet étonnant prétexte narratif pour parler de pardon, de rédemption. Une écriture, certes, un brin caricaturale, mais des questions qui transcendent la raison. Le cinéaste convoque l’humour des nouvelles de Patrick deWitt, l’absurde de Samuel Becket et Eugène Ionesco, et la prose de son illustre père Gabriel García Márquez pour dévoiler un film aux airs de fable sur le deuil. Ou serait-ce plutôt un conte sur les multiples vocabulaires de cet amour qui unit des fils à leur père, aussi abominable fut-il avec eux?
3,5/5 ★
Disponible à partir du 21 octobre sur Apple TV+.
Bande-annonce
La rédaction vous recommande aussi:
Vous devez vous identifier pour déposer vos commentaires.
Login & Enregistrement